Source : L’Espace littéraire par Maurice Blanchot, éditions Gallimard, collection Folio Essais, relecture septembre 2007-janvier 2025
Le plus souvent, on dit de l’artiste qu’il trouve dans
son travail un moyen commode de vivre en se soustrayant au sérieux de la vie.
Il se protégerait du monde, en s’établissant dans un monde irréel sur lequel il
règne souverainement.
C’est l’un des risques de l’activité artistique :
s’exiler sans toutefois renoncer au confort du monde, ni aux facilités
apparentes d’un travail hors du temps. L’artiste donne souvent l’impression
d’un être faible qui se blottit peureusement dans la sphère close de son œuvre,
où il peut prendre sa revanche sur ses échecs dans la société. Mais cette vue
n’exprime qu’un côté de la situation. L’autre côté, c’est que l’artiste qui
s’offre aux risques de l’expérience qui est la sienne, ne se sent pas libre du
monde, mais privé du monde, non pas maître de soi, mais absent de soi et exposé
à une exigence qui, le rejetant hors de la vie et de toute vie, l’ouvre à ce
moment où il ne peut rien faire et où il n’est plus lui-même.
C’est alors que Rimbaud fuit jusque dans le désert les
responsabilités de sa décision poétique. Il enterre son imagination et sa
gloire. Il dit adieu à l’impossible, de la même manière que Léonard de Vinci et
presque dans les mêmes termes ; Il ne revient pas au monde, il s’y réfugie
et peu à peu, ses jours voués désormais à l’aridité de l’or étendent au-dessus
de sa tête la protection de l’oubli.
S’il est vrai que, selon des témoignages douteux, il ne souffrait plus dans les dernières années qu’on fît allusion à son œuvre ou répétait à son propos : « Absurde, ridicule, dégoûtant », la violence de son désaveu, le refus de se souvenir de lui-même, montre la terreur qu’il éprouve encore et la force de l’ébranlement qu’il n’a pu soutenir jusqu’au bout. Désertion, démission qu’on lui reproche, mais le reproche est bien facile à qui n’a jamais couru le risque.
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