La comédie a pour fonction en grande partie de nous
rendre sensible les revanches offensives de la matière. Il ne faut pas, bien
entendu, que l’accident atteigne le centre ou la totalité de notre destinée,
car le comique alors deviendrait sérieux. Si la culbute nous coûte la vie, elle
tourne au tragique ; mais si elle est une simple revanche passagère, superficielle
et locale de la gravitation sur un être dont la vocation est la lévitation et
la grâce, elle donne envie de rire ; nous nous divertissons aux échecs
anodins du « distrait » en qui la caricature exagère encore cette
action fascinatrice du corps ; ainsi le lapsus fait rire parce qu’il est
une victoire fortuite de la pesanteur, une chute minuscule de l’inattention
vitale, parce qu’il est comme un bâillement intempestif, la distraction éclair
de notre vigilance et de notre liberté. Ce relâchement imperceptible, comme
toute étourderie, tient à l’inertie corporelle… La vie est aux prises avec un
principe barbare dont elle ne fait pas ce qu’elle veut et qui se révolte
volontiers. L’histoire des espèces est pleine de ces révoltes et de ces
défaites.
Vladimir Jankélévitch : Henri Bergson
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