Nous voudrions bien circonscrire le mal hors de nous,
et nous ferions même l’impossible pour éviter cette mauvaise fréquentation. Or
le mal est en nous. Nous préférerions le démon, pourvu qu’il fût localisable et
repérable, mais comment s’exorcisera-t-on soi-même ? Le mal n’est pas une
entité, c’est une intention, une mauvaise volonté et la conscience ne s’en
purge pas facilement. La conscience loge son ennemi chez elle. Le ver est dans
le fruit. La philosophie du Rire ne comporte-t-elle pas elle-même une imperceptible
dose d’amertume ? Tout d’abord, qu’il y ait en présence, l’un de l’autre,
l’un dans l’autre deux mouvements inverses, c’est ce que nous démontrerait la
science mécaniste elle-même qui n’appréhende de la vie que l’aspect
destructeur, ou la « catagenèse. » La tendance mauvaise s’attache aux
pas de la tendance positive ; c’est elle qui convertit à tout moment
l’évolution en processus circulaire ; de même que la gravitation résulte
de deux forces divergentes qui se composent, ainsi le piétinement des espèces
stationnaires n’est que le compromis intervenu entre lévitation et géotropisme,
entre la vie qui voudrait monter et l’inclination anti-spirituelle qui voudrait
descendre, entre l’inertie de la pesanteur et la vocation de progrès, ou, comme
Bergson le dira plus tard, entre la pression et l’aspiration ; la
conscience, déchirée contre elle-même, adopte une moyenne qui tourbillonne sur
place.
Vladimir Jankélévitch : Henri Bergson
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