« Parce que c’était lui, parce que c’était moi »

 

Source : Villiers de l’Isle-Adam, exorciste du réel, portier de l’idéal, par Alan Raitt, Librairie José Corti, 1987, collection Rien de commun.

Un jour, Villiers a raconté à Gustave Guichez qu’il venait d’avoir un cauchemar. En prenant un des papiers dans lesquels il roulait habituellement des cigarettes, il remarqua que le minuscule paquet portait l’étiquette Œuvres complètes de Stéphane Mallarmé. Mais quand il essaya de lire, les pages se succédèrent sans discontinuer et sans augmenter le volume du tout. Son exaspération devant ce flux incessant de pages devint telle qu’à la fin, il se réveilla… et vit, ouvert sur son lit, ce chef-d’œuvre en miniature, L’Après-midi d’un faune. » « Il n’y a qu’un grand poète pour faire tenir l’infini dans un fini si petit. »

L’anecdote relative à Mallarmé est également expressive. Guiches se trouvait un jour avec Wyzema et Mallarmé dans les bureaux de La Revue indépendante où Mallarmé lisait à haute voix le dernier des articles extrêmement abstrus qu’il consacrait au théâtre.

Subitement, toutes les lumières s’éteignirent, mais sans la moindre hésitation, Mallarmé continua sa lecture dans l’obscurité, puis dit : « Villiers de l’Isle-Adam a écrit les dernières pages de L’Ève future à plat ventre sur un plancher rasé de meubles et éclairé d’un bout de bougie. À plat ventre ! À plat ventre, mais l’esprit était debout, car l’esprit, chez certains, fait toujours angle droit avec le corps aplati. »

Les deux amis n’ont sans doute jamais cherché à définir exactement pourquoi, malgré toutes les différences de milieu, de caractère, d’éducation, ils se sentaient si proches l’un de l’autre, mais leur amitié, exceptionnelle et exemplaire, est devenue plus étroite dans les derniers mots de la vie de Villiers.

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