Soyez rares

 

Source : Villiers de l’Isle-Adam, exorciste du réel, portier de l’idéal, par Alan Raitt, Librairie José Corti, 1987, collection Rien de commun.

Ceux qui connaissaient bien Villiers pouvaient déceler dans les Contes cruels une idiosyncrasie tout à fait personnelle : l’obsession de la guillotine. La cruauté des contes prend des formes multiples, mais elle n’est nulle part plus apparente que dans Le Convive des dernières fêtes, où la peur et la répulsion provoquées par la personne du mystérieux Baron von H*** s’expliquent quand on apprend qu’il est fasciné par les exécutions capitales et passe son temps à voyager à travers l’Europe pour essayer de prendre la place des bourreaux.

Les amis de Villiers savaient qu’il était toujours présent quand on devait guillotiner un criminel (les exécutions étaient encore publiques à l’époque) et les récits et chroniques des dernières années de sa vie montrent une hantise croissante du spectacle de la décapitation. Certes, dans Le Convive des dernières fêtes, il réprouve le passe-temps morbide du Baron, présenté comme une aberration pathologique, mais par la suite, il devient de plus en plus évident que lui-même n’échappe pas tout à fait à la même fascination.

Ce trait sadique se rattache peut-être à la misogynie qui est si apparente dans certains récits. Après avoir imaginé l’idéal impossible d’une femme dont le génie n’aurait d’égal que la beauté, Villiers avait subi des désillusions telles qu’il raillait amèrement les faiblesses féminines. À des soirées dansantes, il avait l’habitude de glisser dans l’oreille d’un couple tendrement enlacé : « N’aimez jamais » et Henry Roujon raconte qu’il fut « plus d’une fois conduit au poste pour avoir voulu évangéliser un de ces couples qui, après minuit, sur les boulevards extérieurs, « discutent sans grâce des intérêts temporels de l’amour. »

La vie qu’il menait avec Marie Dantine, qu’il tolérait bien plus qu’il ne l’aimait, était aux antipodes de son rêve. La seule photo connue de Marie, prise alors qu’elle était déjà vieille, montre qu’elle n’était guère jolie ; elle avait, dit-on, de grands yeux noirs, mais ne ressemblait en rien à la compagne tant désirée. Sans la naissance de Victor, elle n’aurait sans doute joué dans sa vie qu’un rôle mineur et éphémère.

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