Source : Histoire des enfers par Georges Minois, éditions Fayard
La réincarnation n’est-elle pas un processus
infernal ? C’est, écrit Michel Hulin, « un mécanisme implacable et
asservissant auquel on rêve de se soustraire. » L’idéal est d’atteindre le
nirvâna, de rejoindre les dieux en renonçant au désir de vivre et de mettre
ainsi fin à toute activité de la personne. L’individu, dont les composantes
sont maintenues ensemble par l’action, se dissout peu à peu dans l’inaction et
complètement à sa mort, qui est pour lui délivrance. Il n’y a plus
d’individualité pour redonner l’unité à une nouvelle personne. Les autres, au
contraire, cédant à l’illusion qu’on puisse acquérir davantage de bonheur par
l’action, maintiennent leur individualité, et se condamnent, par leur désir de
vivre, à la réincarnation. Or, cette vie n’est que déception et souffrance,
elle est un véritable enfer terrestre auquel nous nous condamnons.
Second point commun entre l’enfer et l’au-delà et la
réincarnation : ils ne procèdent pas d’un jugement mais découlent de notre
propre choix, d’un mélange d’illusions et de mauvaises actions délibérées. En
fait, ils font double emploi. Dans les deux cas, le sort malheureux est dû à
l’attachement au moi, à l’obstination dans l’égoïsme, qui pousse l’individu à
poursuivre sans cesse ses rêves de gloire et de richesse ; enfermé en
lui-même tout en étant lié à ceux qui poursuivent la même chimère, celui-ci
perpétue son propre malheur, ses déceptions continuelles, sans qu’il soit pour
cela besoin de le condamner. De même, en enfer, comme le décrivent certaines
visions des Brâhmana, il y a des gens qui sont torturés par leurs propres
mauvaises actions, sous forme symbolique, en particulier pour n’avoir pas
respecté les rites.
Les rites sont importants, notamment les rites
funéraires, car leur accomplissement détermine la nature du corps que prendra
le défunt dans l’au-delà. Ne pas les accomplir est se condamner à devenir une
ombre misérable, un preta, rôdant autour de la demeure des vivants. Les
autres sont dotés d’un corps subtil, de petite taille, capable d’éprouver des
sensations. Le mauvais, revêtu de ce « corps de tourments », descend,
à la vitesse du vent, vers le royaume de Yama, le dieu des Morts. Il traverse à
toute allure marais, déserts chauds et froids, puis la répugnante rivière
Vaitarnanê, mélange de sang, de pus et d’urine. Alors, arrive Citragoupta avec
son registre où sont consignées toutes les bonnes et les mauvaises
actions ; si ces dernières l’emportent, c’est l’enfer, le naraka.
Ce lieu, d’une extraordinaire complexité, possède un type de supplice pour chaque faute, selon sa gravité : certains textes parlent de plusieurs dizaines de millions d’enfers particuliers, de plus en plus profonds, de plus en plus terribles.
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