Et l'acier fut trempé

 

Source : La Symbolique du feu par Jean-Pierre Bayard, éditions Véga, collection Poche, recommandé par Neûre aguèce.

Le philologue norvégien C. Marstrander suit à travers l’Europe l’évolution du mythe du rajeunissement. Ce livre écrit en français est riche de plus d’un enseignement, mais nous retiendrons ses thèmes du rajeunissement par le Feu et ceux du forgeron magicien, en excluant les motifs du diable berné ou du château enchanté.

Que ce soit donc dans le feu du four ou dans celui de la forge, Edsman note que ce sont là des légendes chrétiennes où un saint, souvent saint Pierre, ou Jésus, jouent le rôle principal. Jésus rencontre un soldat, un prêtre ou un forgeron ; dans une ville, le Seigneur ressuscite une princesse ou la soigne d’une maladie incurable en la brûlant dans un four ; le compagnon du Christ tente en vain de refaire la même merveille et finalement, Jésus vient à son aide. 

Parfois, ce n’est plus dans un four que se réalise le miracle mais dans une forge où Jésus transforme une vieille femme en une jeune fille. Edman cite de nombreuses légendes que l’on peut trouver cher Dähnhardt, Cosquin, de Gubernatis, Sébillot, Van Gennep. Je ne reprendrai pas ces thèmes qui proviennent sans doute d’une tradition commune et chrétienne, puisque le Christ, revenu sur terre, extériorise sa faculté divine de guérir les malades et de ressusciter les morts.

Ce motif du rajeunissement par le Feu apparaît aussi dans les jeux du Carnaval. Le diable, en se servant du Feu de l’enfer, parvient à rendre jeunesse à l’être déchu. Les fêtes de Thorn (1440), Nuremberg (1479), du Tyrol, répondraient à ces rites, mais, en réalité, la fête du Carnaval reste une farce et nous ne pouvons y recueillir que des éléments épars. Edsman cite une gravure sur bois, coloriée, de 1550, conservée au musée de Gotha : cette gravure, faite à Augsbourg par Anthony Formschneider, représente un grand four où un homme jette par le haut son épouse âgée tandis qu’à la partie inférieure sortent deux jeunes filles ; d’autres vieillards portent de même leurs femmes.

Ce n’est donc plus Jésus, ou un saint, qui pratique le rajeunissement par le feu, mais un maître quelconque. La légende de cette feuille volante reste burlesque et ce divertissement est si goûté qu’il devient très vite populaire. Dans toute l’Allemagne, en Russie, en Hollande, nous retrouvons des gravures semblables où un homme rajeunit les vieilles femmes, mais rien n’est dit sur le rôle du feu. Par la suite, et principalement en Suède, le four est remplacé par un moulin, ou par un puits de jeunesse. Edsman songe à la coutume du carnaval où un mannequin est brûlé dans un but saisonnier ; c’est la manière de voir de Van Gennep. Pour ma part, j’admettrai mieux un rite purificateur.

Ce rôle du four régénérateur n’est pas sans analogie avec les opérations magiques qui se déroulent dans la forge ; Vulcain, le dieu forgeron, reforme les vieilles femmes : un pouvoir spécial est donné à la forge, au marteau, à l’enclume, et à la cuve d’eau qui sert à refroidir et à tremper. En analysant la multitude des contes, nous nous apercevons que le rajeunissement peut provenir soit du Feu, soit du martèlement sur l’enclume, soit de l’eau, mais le plus souvent ce sont ces trois actions qui provoquent le miracle et elles ne peuvent être dissociées.

Cette recréation se réalise à partir de trois coups de marteau ; nous connaissons la valeur du chiffre trois et ces coups de maillet marquent que le façonnage de l’être passe d’un état à l’autre ; dans la salle de spectacle, les trois coups fixent le temps où le spectateur oublie les contingences extérieures afin de se lier à l’action qui se joue devant lui ; dans les sociétés initiatiques organisées, les trois coups de maillet permettent l’ouverture et la fermeture des travaux, et c’est retrouver la mort symbolique d’Hiram qui, d’initié, va devenir élu.

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