Source : Jacques Rigaut, le suicidé magnifique, par Jean-Luc Bitton, préface d’Annie le Brun, éditions Gallimard, collection Biographies.
Comme beaucoup d’autres engagés volontaires, Rigaut opte pour un régiment d’artillerie lourde, une arme placée en retrait du front, à une dizaine de kilomètres des premières lignes. Quelques mois plus tard, même s’il n’y reste pas durant toute sa mobilisation, Rigaut est effectivement « mis en subsistance » dans un dépôt du service automobile.
Un
service peu exposé, considéré par la plupart des combattants comme l’exemple
même du repaire d’embusqués. Quand Rigaut déclare en public y avoir passé la
guerre, de surcroît à Paris, c’est évidemment une énorme provocation de sa
part. Adepte de la négativité radicale dada, il est cohérent que Rigaut se
retrouve dans la figure la plus vilipendée de la Grande Guerre, celle de
l’embusqué, ce « héros négatif », froid et égoïste, indifférent aux
souffrances des autres, l’antithèse absolue du poilu qui « possède en
défauts tout ce que l’autre possède en qualités. »
Durant la guerre, la France voit des embusqués partout,
certains, (comme l’écrivain Roland Dorgelès, qui note qu’on « est toujours
l’embusqué de quelqu’un ») s’insurgent contre cette
« embuscomanie » obsessionnelle, rappelant que, dans une organisation
militaire, l’arrière-front est aussi indispensable que l’avant combattant selon
le principe : « The Right Man in the Right Place. »
Entre 1914 et 1918, Maurice Barrès, alors chroniqueur à L’Écho de Paris,
recevra 15.362 lettres de civils et de soldats, dont 1.233 à propos des
embusqués, soit 8% de sa correspondance de guerre. « Les [embusqués]
entendez-vous jubiler et jongler sur les cadavres des autres ? »
écrit à Barrès l’un des lecteurs. Une citation qui trouve son écho dans un
récit autobiographique de Rigaut : « Je me désolais de mon
incorrigible goût pour le cynisme le plus enfantin qui ne m’a jamais mené plus
loin qu’à faire des pieds de nez au cadavre d’un ami mort. »
Nulle part dans sa correspondance connue, Rigaut ne cite la mort d’un ami, sinon celle de Maxime François-Poncet, dont on sait que la brutale disparition le bouleversera. Dans l’un de ses textes, publié par la revue Littéraire, Rigaut s’accusera même du meurtre imaginaire de deux poilus : « Pendant la guerre, j’ai jeté une grenade dans une cagna où deux camarades s’apprêtaient avant de partir en permission. » Il y a une constance chez Rigaut, c’est sa volonté de choquer, de renverser l’ordre des choses et des valeurs établies, qu’elles soient révolutionnaires ou conformistes, de se mettre délibérément du mauvais côté : « Les apparences, on en a bien raison de dire ainsi, sont contre moi. »
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