Source : Histoire des enfers par Georges Minois, éditions Fayard
Parmi les visions et voyages dans l’au-delà, le monde
celtique affirme à cette époque son originalité. Comme il se doit, cette région
brumeuse et maritime situe l’enfer dans une île. L’un des plus anciens récits, Le
Voyage de saint Brandan…, datant probablement du neuvième siècle, et
traduit en français au douzième siècle, raconte comment ce moine et ses sept
compagnons, après une longue navigation, arrive en vue d’une île sinistre,
faite de rochers calcinés, d’où viennent des bruits de soufflets de forge et de
marteau. Les moines ne peuvent aborder, car les démons leur lancent des blocs
de fer chauffés au rouge, et qui font bouillir la mer. Un peu plus loin,
cependant, sur un îlot brûlé, ils trouvent un homme enchaîné qui se lamente.
C’est Judas, le damné par excellence, qui prend son
repos hebdomadaire, du samedi soir aux vêpres du dimanche. Brandan lui demande
où se trouve son lieu de torture : « Dans la montagne que vous avez
vue, répond-il. Là est le Diable Léviathan avec ses serviteurs. J’y étais quand
il engloutit votre frère et l’enfer en eut grande liesse, et il jeta de grandes
flammes comme il fait toujours quand il dévore l’âme d’un impie. J’y suis
tourmenté avec Hérode et Pilate, Caïphe et Anne. Le lundi, je suis cloué sur la
roue et je tourne avec le vent. Le mardi, je suis étendu sur une herse et
chargé de rochers ; regardez mon corps, comme il est percé. Le mercredi,
je bous dans la poix, où je suis devenu noir comme vous voyez ; puis, je
suis embroché et rôti comme un quartier de viande. Le jeudi, je suis précipité
dans un abîme où je gèle et il n’est pire supplice que ce grand froid. Le
vendredi, je suis écorché, salé et les démons me gavent de cuivre et de plomb
fondu. Le samedi, je suis jeté dans une geôle infecte où la puanteur est si
grande que mon cœur passerait mes lèvres, sans le cuivre qu’ils m’ont fait
boire. Et le dimanche, je suis ici où je me rafraîchis. »
Justement, les démons arrivent pour reconduire Judas au
travail. Il supplie alors Brandan d’obtenir une prolongation exceptionnelle de
son repos le lundi. Le saint se laisse fléchir. Si le thème du repos des démons
n’est pas entièrement nouveau, il est remarquable que cette étrange idée d’un
calendrier infernal respectant le jour du Seigneur se soit maintenue pendant
plusieurs siècles dans les enfers populaires. Cette croyance, venue du
continent, est propagée ensuite par les Irlandais dans Le Voyage de Saint
Brandan, puis dans La Vision d’Adamnan, où le répit ne dure que
trois heures par semaines, et dans Le Voyage des fils O’Corra, datant du
neuvième siècle, où on lit que chaque dimanche, on voit de drôles d’oiseaux
« qui sont les âmes qui s’échappent chaque dimanche des lieux
infernaux. »
La croyance réapparaît plus tard, sur le continent, en particulier en Italie. Vers le milieu du onzième siècle, Pierre Damien écrit au pape Nicolas II que chaque samedi, à Pouzzoles, d’horribles oiseaux s’envolent, la croyance populaire affirme que les âmes des damnés partent en villégiature jusqu’au lundi matin. L’idée se retrouvera dans les livres liturgiques jusqu’à la fin du Moyen Âge.
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