Trou de ver

 

Source : Scientifiction, la physique de l’impossible par Roland Lehoucq, éditions du Bélial, collection Parallaxe

Gilbert Gosseyn dans Le Monde des non-A d’Alfred E. Van Vogt (1912-200) peut se téléporter grâce à son cerveau double, à condition d’avoir mémorisé « jusqu’à la vingtième décimale » un élément du lieu désiré. Dans Jumper, les héros se déplacent dans l’espace en créant un trou de ver. Le procédé n’est pas nouveau, puisqu’on le trouve par exemple dans le cycle de la « Culture » de Ian M. Banks (1954-2013) ou dans le film Interstellar (Christopher Nolan, 2014) mais que cache-t-il exactement ? En 1935, Albert Einstein et son collègue Nathan Rosen (1909-1995) découvrirent que le formalisme de la relativité générale (la théorie de la gravitation élaborée par Einstein en 1915) permettait des solutions qui connectaient une région de l’espace-temps à une autre. A cette époque, ces objets furent nommés « points d’Einstein-Rosen. »

Dans les années 1960, le physicien américain John Wheeler (1911-2008) nomma « trou de ver » « ces raccourcis spatio-temporels entre deux points de l’espace, par analogie avec les tunnels que creusent les vers dans le sol. » Il montra que ces trous de vers étaient instables et si, par chance, il s’en formait un dans le vide, il se refermerait avant même qu’un seul photon puisse le traverser. En 1988, le physicien Kip Thorne et son étudiant Mike Morris montrèrent qu’il était possible de stabiliser les trous de vers et même que l’on pouvait les convertir en machine à voyager le temps. Pour parvenir à cette stabilisation, il faut obtenir une déformation particulière de l’espace-temps. La théorie de la gravitation d’Einstein nous enseigne que la géométrie de l’espace-temps est fixée par la distribution de matière et d’énergie : un système d’équations différentielles traduit formellement ce lien.

Ainsi, pour concevoir un trou de ver stable, il suffit de calculer, grâce aux équations, quelle est la distribution de matière adaptée au plan de l’espace-temps souhaité. Cela semble « simple » à ceci près que la solution obtenue pose problème : en effet, pour qu’un voyageur puisse ressortir du trou après y avoir pénétré, une partie de la matière utilisée doit avoir une masse négative (dont le champ de gravité est répulsif) contrairement à la matière que nous croisons habituellement. Si nous n’utilisions que des masses positives, le voyageur ne pourrait pas ressortir du trou de ver qui, en fait, ne serait plus qu’un trou noir avec une entrée et pas de sortie. Ainsi, pour traverser le trou de ver, il faut recourir à une manière exotique de masse négative qui permette de repousser et d’expulser le voyageur vers la sortie. Or, pour l’instant, cette matière n’a jamais été observé en laboratoire, ni ailleurs, du reste.

De surcroît, les extrémités du trou de ver de Thorne-Morris sont sujettes à un phénomène nommé black reaction, une manifestation de la conservation de l’énergie. Quand un objet traverse le trou de ver, l’entrée du trou gagne une énergie égale à l’énergie de masse de l’objet et la sortie perd la même quantité d’énergie. La même chose se produit pour d’autres quantités physiques, comme la charge ou la quantité de mouvement. La solution consiste à envoyer une sorte de ballast dans le trou de ver en suivant la direction opposée de l’objet, de sorte à annuler les variations d’énergie qui affectent les extrémités dudit trou de ver. Le film Jumper ne montre aucune masse se déplaçant dans la direction opposée du Jumper. 

Dans cette situation, la « black reaction » pose problème car à l’entrée du trou de ver est libérée une énergie égale à l’énergie de masse Jumper, soit tout de même l’équivalent de mille mégatonnes de TNT pour un humain de corpulence moyenne.

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