Source : Mystiques, spirituels, alchimistes du seizième siècle allemand, par Alexandre Koyré, éditions Gallimard, collection Idées.
Le monde actuel est dû à une double création ;
mouvement de descente et mouvement d’ascension. Il est, d’abord et avant tout,
le produit de la chute, de celle de Lucifer et de tous les anges ; et
c’est comme prison pour les esprits qu’il a été créé. Il est ensuite le théâtre
de l’action de la puissance divine qui cherche à le ramener vers un plan
supérieur. Or, là encore, l’homme, le limbus minor, nous offre l’image
exacte du processus et de l’histoire du limbus major. Le corps humain,
comme celui de l’univers est catagastrique, produit d’une chute, issu de la
personne cagastrique d’Eve. Adam, par contre, avant la Chute, avait un corps
yliastrique, un corps qui était un extrait de l’univers et qui le représentait.
D’ailleurs, Adam fut créé par Dieu pour ramener la
nature à un plan supérieur, pour être son ouvrier dans l’univers. La chute l’a
transformé, l’a plongé dans le monde grossier des éléments séparés, qu’il
représente, d’ailleurs, dans la même mesure où Adam représentait le monde
primitif. Avant la chute, le corps d’Adam était un corps dynamique, il ne se
nourrissait pas comme nous ; il ne mangeait pas. Car bien que tout être
ait besoin de « nourriture », les êtres supérieurs, les anges, par
exemple, ne se nourrissaient pas par la bouche comme le font les animaux et
comme nous le faisons depuis. Adam n’avait pas d’intestin ni de parties
sexuelles. Il n’était pas sujet à la mort. Il devait engendrer magiquement,
étant androgyne…
L’astre humain n’a qu’un nombre donné de révolutions à
faire. Dès que sa course est complète, il meurt, comme mourra et se dissoudra
le monde matériel, lorsque sera révolu son nombre à lui. La matière grossière
résiste à l’âme plus qu’elle ne l’exprime ; l’âme ne peut lui commander,
ne peut la vivifier tout entière. Le déchet, l’élément cagastrique est trop
fort. Il en est de même pour les corps de l’univers. Ils sont impurs et bien
que la force vitale de la nature soit insuffisante pour les faire vivre, pour
combattre petit à petit la tendance à la dégradation, elle ne réussit que
rarement, avec beaucoup de peine et de temps.
C’est pourquoi les métaux les plus parfaits des corps
croissent si lentement ; c’est pourquoi aussi on trouve si rarement les
métaux précieux, et même lorsqu’on les trouve, ils sont toujours dans un état
impur. Il faut procéder à des manipulations nombreuses pour achever l’œuvre de
la nature ou pour permettre à la nature d’achever son œuvre en un temps plus
court. Car, cet ceci est un point d’importance, toute la nature tend vers son
état primitif et tend à rentrer de nouveau dans l’unité de l’élément céleste.
Or, elle ne peut le faire elle-même, il lui faut une aide venue d’en haut. Là
encore, l’homme est l’image de l’univers.
Créé double et en temps, il a reçu son corps d’en bas, d’en haut lui fut imprimée l’image divine, l’esprit. Il a aussi reçu une tincture qui le transforme comme la tincture transforme la matière métallique sur laquelle elle agit. Le Christ, homme-dieu, est notre tincture. Le nouvel Adam nous transfigure et nous donne un corps spirituel comme la pierre philosophale transforme et transfigure la matière métallique. D’ailleurs, si on y fait bien attention, le processus métallique lui-même, le grand œuvre, n’est, du moins pour Paracelse et les alchimistes du Moyen Âge, qu’un symbole du processus plus général de la transfiguration et du retour en Dieu.
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