Source : Servitudes virtuelles par Jean-Gabriel Ganascia, éditions du Seuil, collection Science ouverte
Les machines ne font pas le travail
des hommes à leur place, mais tendent plutôt à le transformer. Les métiers ne
se résument que très rarement à l’exécution d’une seule tâche, ils ne disparaissent
pas purement et simplement, mais tendent plutôt à se transformer. De plus, les
machines ne font pas le travail à la place des hommes, mais tendent à la
réifier, de sorte qu’il devienne transportable et dé-localisable. Alors que
Justus von Liebig espérait concentrer le principe nutritif de la viande, pour
le transporter d’un continent à l’autre, l’intelligence artificielle aspire à
condenser l’essence du travail humain pour la transporter d’un continent à
l’autre.
Dans un célèbre essai intitulé Le
Travail en miettes, le sociologue George Friedmann décrit les effets du
taylorisme, de la décomposition du travail en tâche élémentaires et de la
spécialisation des ouvriers dans une de ces tâches. En poursuivant une
métaphore analogue, nous devrions parler du « travail en poussière et en
tablettes », puisqu’il est désormais pulvérisé en micro-tâches
élémentaires, puis une fois réduit à l’état de poudre, il est aggloméré en
modules informatiques grâces aux techniques d’apprentissage machine, de façon à
se transporter partout dans le monde et à s’exécuter à la demande.
Il en résulte, d’un côté, une perte d’emploi pour les travailleurs, devenus non rentables, du fait des protections sociales historiques acquises de haute lutte, et, d’un autre côté, de nouvelles modalités d’activités très mal rémunérées pour ceux que rien ne protège et qui vivent une forme d’asservissement virtuel, sans chaînes, ni fléau, mais si contraignante qu’elle rend toute libration très difficile.
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