Source : L’homme et ses labyrinthes, essai sur Friedrich Nietzsche par Angèle Kremer-Marietti
« La connaissance parfaite nous ferait
vraisemblablement tourner autour des choses, froids et brillants comme des
astres, un bref instant encore ! Et alors, ce serait notre fin, comme la
fin d’êtres assoiffés de connaissance qui jouissent d’une existence d’araignée
et d’un bonheur d’araignée à tirer des fils de plus en plus ténus d’intérêts et
qui finalement coupent eux-mêmes le fil le plus mince et le plus délicat parce
qu’on ne peut de ce dernier tirer de fil plus fin. »
La passion de la connaissance, ce n’est rien d’autre
pour celui qui connaît, ou plutôt pour celui qui veut connaître, que le désir
de s’unir aux choses dont il se voit détaché : « Ou bien tout doit se
résoudre en connaissance, ou bien tout se résout dans les choses. » La
connaissance est une chasse. Il ne faut pas voir avec des yeux « impersonnels »,
au contraire, voir avec cent yeux, voir par plusieurs personnes interposées,
voir avec des yeux personnels et nombreux ; tel est le moyen de la
connaissance proposé. Le cogito de Descartes est critiqué puisqu’il n’est pas
sûr que je sois l’Être qui représente, ni que le fait de représenter soit une
activité de moi.
De plus, l’intellect n’est pas approprié à la
compréhension du devenir. Il n’empêche que le chaos travaille encore dans notre
esprit : « concepts, images, sensations sont par hasard portés l’un
près de l’autre, mêlés l’un à l’autre » : un devenir intelligible et
une compénétration réelle, telles sont les deux images de la nature et de
l’esprit, au milieu se tient l’intellect avec son opération fixatrice et
ordonnatrice. Toutefois, l’intellect lui-même ne peut rien là où un sens nous
manque : « Ce pour quoi nous n’avons pas de sens n’existe pas pour
nous. »
La connaissance ne nous libère pas de ce filet inextricable de vérités et d’erreurs qui constituent les premières impressions de nos ancêtres les plus reculés, impressions dont nous ressentons encore les dernières marques. Au fond, la connaissance ne rapporte finalement pas la Vérité ; ce n’est pas la vérité que l’homme connaît, mais l’homme lui-même. L’homme a atteint la similitude de l’impression et elle est la condition d’existence de son espèce : « mais cela n’a rien à voir avec la vérité. » Une contradiction s’élève : « Vivre est la condition de la connaissance. L’erreur est la condition de la vie. »
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