Préface à Vies imaginaires de Marcel Schwob par Jean-Pierre Bertrand et Gérald Purnelle
Le « genre » que crée Schwob
a toutes les caractéristiques du « poème en prose », tel qu’il a été
historiquement été étudié par Suzanne Bernard, mais dont on sait aussi, depuis
que Baudelaire l’a promu au firmament de la modernité poétique, qu’il est un
genre « sans queue ni tête, tout tête et queue », qui n’a de règle
que son absence de règle. Le genre de tous les possibles, qui transgresse et
annule les classes de textes, ainsi que Huysmans l’a considéré dans son
bréviaire décadent : « le suc concret, l’osmazome de la littérature,
l’huile essentielle de l’art. »
Poème en prose, en effet, que chacune
de ces vies, dans la minutieuse attention stylistique qui les travaille, mais
surtout, en dépit de leur dimension encyclopédique et à cause de leur faible
narrativité, dans l’effet d’autonomie qu’elles produisent ; privilégiant
l’écriture du détail et l’évocation d’un monde clos sur lui-même, à la fois
poétique et merveilleux, elles sont de nature à transformer notre appréhension
de l’Histoire et du réel.
Aussi ces portraits gagnent-ils en picturalité : véritables tableaux, ils régalent l’œil autant que l’imagination ; le luxe de détails dont ils s’entourent est davantage au service de la description que de la narration, et participent, dans leur minutie même, d’un vaste effet non pas de réel, mais d’irréel, dans les « Fantaisies » de Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand, dont Baudelaire dit s’être inspiré pour sa description de la vie moderne, dans Le Spleen de Paris.
Commentaires
Enregistrer un commentaire