Prince du paradoxe

 

Source : Mystiques, spirituels, alchimistes du seizième siècle allemand, par Alexandre Koyré, éditions Gallimard, collection Idées.

Sebastian Franck (1499-1542) L’Écriture ironise. L’Écriture fait du paradoxe. Plus même : elle est paradoxale. Et c’est justement en étant paradoxe qu’elle est vraie d’une vérité supérieure. La réalité, en effet, est paradoxale. Le monde comme l’homme set double. Le monde « intérieur » et le monde « extérieur », le monde de la réalité profonde et le monde de l’apparence, le monde « réel » également, mais d’une réalité tout autre, moindre, fausse, corrélative à la « réalité » de l’homme extérieur et charnel.

De même qu’à l’intérieur, dans l’homme, Adam et le Christ, de même à l’extérieur les deux « mondes » s’opposent. D’ailleurs, cela va de soi : car l’homme est microcosme, un petit monde qui représente le grand. Les « mondes » s’opposent et se nient : du point de vue de l’un, l’autre est néant. Le monde charnel, le monde extérieur, le monde « adamatique » n’est rien du point de vue de monde extérieur, la vraie sagesse est une folie, Dieu est « Satan » et le Christ, « l’Antéchrist » C’est Satan et l’Antéchrist que, sous le nom de Dieu et du Christ, adore, en réalité le « monde extérieur », et, pour lui, la vérité religieuse, la vérité spirituelle est fausse.

Nécessairement, car, nous l’avons vu, du point de vue de l’homme extérieur, la vérité intérieure comme l’être intérieur ne sont que néant. Ce n’est que l’esprit qui peut interpréter l’Écriture, allégorie et symbole, car Sebastian Franck ne doute pas de son inspiration ; ce n’est donc pas sa lettre qui agit sur nous. Il faut que l’Esprit lui-même, le Christ intérieur, nous l’explique ; et c’est à l’âme pure seule qu’il le fera, c’est l’âme pure qui pourra en saisir la signification ; l’Esprit l’a dictée, lui seul pourra en saisir la signification ; l’Esprit seul peut nous en donner le sens ? Mais alors, n’est-ce pas reconnaître encore une fois que Dieu peut s’en passer ?

Commentaires