Source : Une histoire de la conquête spatiale, des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space, par Irénée Réginald et Arnaud Saint-Martin, éditions La Fabrique
Les premiers tests réalisés par la NACA, l’ancêtre de
la NASA, pour évaluer la fiabilité des futurs astronautes semblent avoir été
conçus pour les humilier au maximum : ils sont pris en photo nus, pénétrés
dans tous leurs orifices par différents appareils et soumis à toutes sortes
d’expériences ubuesques, sans qu’il soit au final établi de lien réel entre
leurs caractéristiques physiques et leur capacité à performer dans l’espace.
L’idée même recruter prioritairement des pilotes de
chasse ne va d’ailleurs pas de soi. Avant que ce choix ne soit appuyé par le
Président Eisenhower, il est établi une liste de métiers où aller piocher pour
former les futurs astronautes. Des joueurs de baseball aux trapézistes en
passant par les médecins, grimpeurs de montagne et les professeurs : tout
est envisagé.
Mais, à la fin des années 1960, l’agence cherche avant
tout un profil de « superman ordinaire. » Le gendre idéal et bien
rangé auquel tout le monde peut s’identifier, et de préférence pas trop
exubérant. Qui plus est, les pilotes de chasses sont des militaires, dociles,
familiers des combinaisons pressurisées et, contrairement aux pilotes opérant
dans le civil qui possèdent des qualités similaires, dotés des bonnes
habilitations de sécurité et plus faciles à contacter. Un dernier détail :
ils rechignent moins à être déménagés là où il le faut sans trop poser de
questions.
Leurs premiers pas dans cet environnement naissant
qu’est l’astronautique ne sont pas simples. Leur métier n’existe pas encore à
proprement parler et consiste, de dehors des textes à répétition, à s’armer de
patience dans l’attente d’un éventuel vol dans l’espace dans plusieurs mois ou
années, ce qui sera encore plus vrai pour les générations suivantes
d’astronautes, dont certains attendront jusqu’à vingt et un ans avant de voler.
Aux débuts de l’ère spatiale, les Mercury Seven
font face à ce double défi de démontrer leur utilité à l’extérieur, vis-à-vis
du grand public, comme à l’intérieur, face aux scientifiques et ingénieurs dont
les corps de métier sont déjà constitués. Il faut rappeler ici que les premiers
êtres vivants envoyés dans l’espace par les Américains sont des singes et qu’il
s’agit pour les astronautes d’expliquer en quoi leur présence là-haut a plus de
valeur ajoutée que celle des primates.
La réalité du métier d’astronaute, aller dans l’espace,
se résume alors à s’asseoir dans une capsule étroite, et à supporter ses
turbulences jusqu’à la mise en orbite. Une fois dans l’espace, il n’est pas
encore question de batifoler en apesanteur. Puis viennent la redescente, et de
nouvelles turbulences lors de cette opération très risquée de rentrée dans
l’atmosphère terrestre. Les scientifiques, peu enjoués à l’idée de
s’embarrasser de systèmes de survie lors de vols largement automatisés, pensent
même à droguer les astronautes dans la capsule, non pas pour les protéger des
désagréments du voyage, mais pour éviter qu’ils ne soient tentés d’appuyer sur
le mauvais bouton.
À bord, ils n’ont alors pas plus d’autonomie qu’un
passager d’une compagnie aérienne classique qu’on « autorise à ajuster son
siège, sa tablette et le volet du hublot » ironise Gerard DeGroot.
L’existence même du hublot est l’objet d’un conflit entre les Mercury Seven
et les ingénieurs responsables de la conception de la capsule Mercury
qu’ils voudront au passage renommer « Spacecraft », vaisseau
spatial, pour donner l’illusion d’un pilotage de haute voltige.
Comment maintenir que les astronautes maîtrisent quoi que ce soit s’ils ne voient rien depuis l’intérieur du vaisseau ? Le conflit de culture entre astronautes, scientifiques et ingénieurs perdure les années suivantes, particulièrement dans les moments où la NASA tente de faire entrer des scientifiques dans les corps d’astronautes : ces derniers n’y trouveront jamais vraiment leur place, leur simple présence laissant penser que n’importe qui pouvait devenir astronaute.
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