Erzketzer

 

Source : Mystiques, spirituels, alchimistes du seizième siècle allemand, par Alexandre Koyré, éditions Gallimard, collection Idées.

Fides ex audita, disent les Luthériens, oubliant qu’entendre est un acte intérieur de l’âme et non un acte extérieur de la chair, et créent par leur doctrine un sacre nouveau, celui du prêche. Et pourtant, est-ce la lettre qui agit ? Est-ce que dans ce cas-là les pharisiens modernes (« Schriftgelehrten ») et les Juifs ne devraient pas être de très bons chrétiens ? Preuve nouvelle que la lettre n’est rien et que l’esprit seul compte. Pour Franck, qui entre l’esprit et le corps fait une séparation presque cartésienne, le corps, la chair, l’homme extérieur, sont, ontologiquement, incapables d’agir sur l’âme, l’esprit, l’homme intérieur dans lequel habitat veritas ; l’esprit seul peut agir sur l’esprit.

Si l’esprit souffle où il veut, surtout si Dieu se révèle partout, et toujours à toutes les âmes qui le cherchent, et si, d’autre part, tout rite, tout dogme, toute cérémonie, tout sacrifice n’ont plus de valeur autre que symbolique : il n’y a plus d’église extérieure. Il n’y alors que la vraie Église de Dieu, la communauté spirituelle des vrais croyants, perdus parmi les païens, les Turcs, les Juifs, les faux chrétiens. Communauté strictement spirituelle : Franck n’est pas un sectaire. Il répudie toute séparation, toute formation nouvelle, toute communauté extérieure des élus.

C’est ce qui le distingue de tous les spiritualistes sectaires de son temps. Les cadres de son « Église » sont vastes ; il y a là de la place et pour Socrate et pour Origène, et pour les « hérétiques » qu’il aimait tant, les hérétiques qui, dans sa « Ketzerchronik », lui apparaissaient comme champions de ce principe de religion spirituelle, de liberté de conviction personnelle qu’il avait défendu toute sa vie. Les vrais hérétiques pour Franck sont les églises, à commencer par Rome avec son « hérésie papiste » et les luthériens sont également des hérétiques.

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