Source : Mystiques, spirituels, alchimistes du seizième siècle allemand, par Alexandre Koyré, éditions Gallimard, collection Idées.
Tout en ce monde est double : visible et tangible
d’une part ; de l’autre, invisible et intangible. Ainsi, dans l’homme, il
y a l’âme invisible qui gouverne, dirige et habite le corps visible et
tangible. Il en est de même pour l’univers, il y a derrière cet univers de
corps, ce monde visible et tangible de la terre et des cieux, une entité
invisible et intangible, Gestirn ou Astrum, qui, par rapport à
l’univers joue le même rôle que l’âme joue par rapport au corps. Il faut aller
plus loin, l’Astrum, le Gestirn, est, en effet, l’âme du monde
qui l’habite, le dirige, le mène et qui s’exprime par la position des
« astres » comme l’âme humaine s’exprime ou exprime ses états
intérieurs par l’intermédiaire de son corps.
C’est donc le corps de l’univers que nous voyons, comme
c’est le corps de nos semblables que nous percevons par nos sens extérieurs.
Or, de même qu’en percevant le corps, nous « lisons » dans l’âme qui
par ce corps s’exprime, l’univers tout entier n’est qu’un livre que nous
pouvons « lire » et qui « exprime » la réalité astrale.
D’ailleurs, ce que nous venons de constater pour l’homme et l’univers, se
retrouve partout, car chaque partie de l’univers reproduit et reflète la structure
initiale du tout. Il faut donc, dans tous les métaux, même inertes, les
éléments, les pierres, les métaux, etc., admettre l’existence d’une « âme
invisible » qui s’exprime par les corps matériels. Il est d’ailleurs
évident que tous les corps, comme l’univers entier, sont bâtis et maintenus par
des forces, dont les corps matériels et les phénomènes extérieurs ne sont que
des « corps », des « habitacles », des
« expressions. »
Il ne faut cependant pas, dans cette doctrine où tout
l’extérieur est ein Gleichniss, symbole sans réalité, ne voir dans le
monde matériel qu’un Gleichniss, symbole sans réalité propre, sans
force, sans existence réelle. Le monde et les corps ne sont pas de purs
« symboles », ne sont pas des images. Paracelse n’est pas idéaliste.
Bien au contraire, le rapport d’expression à force ou essence exprimée pose
nécessairement la réalité des deux termes. Ce qui, il est vrai, implique et
entraîne dans la conception du monde paracelsiste une complication
nouvelle : l’action des astres sur la terre et sur nous se fait de deux
manières — d’abord, ce sont les astres —, corps qui agissent sur nos corps
comme ils agissent sur tous les corps de l’univers, ensuite, c’est l’âme
humaine en tant que telle qui est influencé par l’Astrum, c’est-à-dire,
par « l’âme » des astres, par le Gerstirn incorporel.
Cette influence, d’ailleurs, s’exerce en double sens. D’une part, l’âme humaine subit l’influence de l’Astrum et, lorsqu’elle se libère un peu des liens du corps, s’en va « fabuler » avec l’âme du monde, et en rapporte des songes merveilleux, ce qui a lieu surtout, mais pas uniquement, dans le sommeil. Il y a, d’autre part, l’influence inverse : celle de l’âme humaine qui, à son tour, peut influencer l’âme du monde, peut lui « suggérer » des idées et des songes. Celle-ci alors les pense et les imagine elle-même, et, en les pensant et les imaginant, les réalise dans le monde. C’est ainsi que l’âme humaine peut commander aux astres, peut diriger les événements, peut même avec son aide produire ou faire produire des êtres nouveaux.
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