Vulcain

 

Source : Les Demeures philosophales 1 et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré et l’ésotérisme du Grand Œuvre par Fulcanelli, troisième édition augmentée, avec trois préfaces de Eugène Canseliet, F.C.H., dessins de Julien Champagne et photographies nouvelles, éditions Pauvert, tome 1

Son laboratoire, cave, cellule, ou crypte, s’éclaire à peine d’un jour triste, que diffusent encore les multiples résilles de poudreuses araignées. C’est là pourtant qu’au milieu du silence le prodige, peu à peu s’accomplit. L’infatigable nature, mieux qu’en ses abîmes rocheux, besogne sous la prudente sauvegarde de l’homme, avec le secours des astres et par la grâce de Dieu. Labeur occulte, tâche ingrate et cyclopéenne, d’une ampleur de cauchemar. Au centre de cet in pace, un être, un savant, pour qui rien d’autre n’existe plus, surveille, attentif et patient, les phases successives du Grand Œuvre.

À mesure que s’accoutument nos yeux, mille choses sortent de la pénombre, naissent et se précisent. Où sommes-nous ? Serait-ce dans l’antre de Polyphème ou dans la caverne de Vulcain ? Près de nous, une forge éteinte, couverte de poussière et de battitures ; la bigorne, le marteau, les pinces, les forces, les happes ; des lingotières rouillées ; l’outillage rude et puissant du métallurgiste est venu s’échouer là. Dans un coin, de gros livres lourdement ferrés, tels des antiphonaires, aux signaux scellés de plomb vétustes ; des manuscrits cendreux, grimoires chevauchant pêle-mêle, volumes flaves, criblés de notes et de formules maculés de l’incipit à l’explicit. Des fioles, ventrues comme de bons moines, remplies d’émulsions opalescentes, de liquides glauques, érugineux, incarnadins, exhalent ces relents acides dont l’âpreté serre la gorge et pique la narine.

Sous la hotte du fourneau s’alignent de curieux vaisseaux oblongs, à pipon court, étoupés et encapuchonnés de cire ; des matras, aux sphères irisées de dépôts métalliques, tantôts évasés ou renflés ; les cornues verdâtres, retortes et cuines de poterie y côtoient des creusets de terre creuse et flammée. Au fond, posés sur leurs paillons, tout au long d’une corniche de pierre, des œufs philosophiques hyalins et élégants contrastent avec la courge massive et rebondies. Praegans cucurbita.

Damnation ! Voici maintenant des pièces anatomiques, des fragments squelettiques : crânes noircis, édentés, répugnants dans leurs rictus d’outre-tombe, édentés, répugnants dans leurs rictus d’outre-tombe, fœtus humains suspendus, desséchés, recroquevillés, misérables déchets offrant au regard leur corps minuscule, leur tête parcheminée, ricanante et pitoyable. Ces yeux ronds, vitreux et dorés sont ceux d’une chouette au plumage fané, qui voisine avec l’alligator, salamandre géante, autre symbole important de la pratique. L’affreux reptile émerge d’un retrait obscur, tend la chaîne de ses vertèbres sur ses pattes trapues et dirige vers les arcatures le gouffre osseux de redoutables maxillaires.

Placés sans ordre, au hasard des besoins, sur le sole du four, voyez ces pots vitrifiés, aludels ou sublimatoires ;  ces bocies olivâtres enfouies en plein dans l’arène, contre l’athanor aux fumées légères escaladant la voûte ogivale. Ici, l’alambic de cuivre, homo galeatus, maculé de bavures vertes ; là, des encensoirs, les concourbes et leurs anténos, les deux-frères ou jumeaux de cohobation ; des récipients à serpentins ; de lourds mortiers de fonte et de marbre ; un large soufflet aux flancs de cuir ridés, près d’un tas de moufles, de tuiles, de coupelles, d’évaporatoires.

Amas chaotique d’instruments archaïques de matériaux bizarres, d’ustensiles périmés ; capharnaüm de toutes les sciences, fouillis de faunes impressionnantes. Et planant sur ce désordre, fixé à la clef de voûte, pendentif aux ailes déployées, le grand corbeau, hiéroglyphe de la mort matérielle et de ses décompositions, emblème mystérieux de mystérieuses opérations.

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