Source : Cagliostro par Philippe Brunet, éditions François Bourin, collection Le Grand livre du mois.
Né vers 1727, à Grenoble, Jacques Delivon Joacin Latour
de La Case, alias don Martines de Pasqually, était présumé issu d’une famille de
juifs espagnols convertis au catholicisme. D’abord rattaché à la maçonnerie
traditionnelle, il s’éloigna bientôt de ce qu’il considérait comme une
« activité mondaine servant à désennuyer les aristocrates », pour
créer sa propre organisation initiatique, l’ordre des Élus Coën.
Divisé en trois grades bleus, apprenti, compagnon,
maître symbolique, et quatre hauts grades, maître élu Coën, zoroabel et
réau-croix, cet ordre professait une mystique de la réintégration, un retour à
la condition dans laquelle se trouvait Adam avant le péché. D’ailleurs, si le
grade suprême s’appelait réau-croix, n’était-ce pas parce que réau signifie roux, roux comme la couleur de l’Adama, cette glaise avec laquelle le premier
homme avait été façonné, et dont il tenait son nom ?
Pour parvenir à cette réintégration les Élus Coëns
s’abandonnaient à l’évocation des esprits, dont les apparitions étaient selon
eux autant d’encouragements envoyés par l’au-delà ; des signes de
réconciliation qui leur prouvaient qu’ils étaient dignes de réintégrer la vie
édénique. Ces évocations collectives de l’invisible passaient par des
expériences complexes et éprouvantes où la dramaturgie le disputait à la transe
extatique. Beaucoup en sortaient terrifiés et, ne cachant pas leur dégoût,
quittaient les rangs de l’Ordre en soupçonnant les Élus Coën de commerce avec
l’Ennemi.
Louis-Claude de Saint-Martin, le philosophe inconnu,
fut de ceux-là. Initié par Martinez Pasqually, il devint son secrétaire en 1771
et il collabora à l’élaboration du rituel de l’Ordre, mais il prit vite
conscience des dangers que représentait l’évocation collective des forces
invisibles.
Cette méthode qu’il appelait la « voie
externe » lui semblait par trop s’apparenter à la magie noire, et il
dénonçait des sentiments d’orgueil et de puissance qu’elle faisait naître chez
ceux qui affirmaient avoir été en contact avec des génies astraux. Pour lui,
ce merveilleux ne pouvait être inspiré que par le « Prince des Ténèbres
qui nous incite à chercher hors de nous-mêmes ce que nous pouvons trouver en
nous. »
Par la suite, ayant rompu avec les Élus Coën, Louis-Claude de Saint-Martin développera un mysticisme délicat, d’une élégance pénétrante, infiniment supérieur à celui de son maître, Martinez Pasqualis. Fondée sur la prière du « culte intérieur », la prière du philosophe inconnu aurait pu influencer très positivement la doctrine de Cagliostro, mais ce dernier lui préféra la « voie externe » qui, par ses rituels spectaculaires, pouvait le conforter dans son statut de démiurge et lui ouvrir une plus large audience.
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