Rebis

 

Source : Les deux visages de l’un : le couple divin dans la kabbale par Charles Mopsik, préface de Moshé Idel, éditions Albin Michel

Gershom Scholem et d’autres savants à sa suite ont beaucoup insisté sur le caractère passif du féminin opposé à l’activité du masculin dans la kabbale. Au contraire, un anthropologue américain, Raphaël Pataï, qui a consacré plusieurs études à l’ésotérisme juif, considère que la dimension féminine y est essentiellement active alors que le principe masculin est passif. Un malentendu sur la signification donnée à ces termes est à la base de ces divergences. Scholem appelle en effet « passivité » le caractère de réceptivité attribué au principe féminin, qui n’aurait selon lui rien en dehors de ce qu’il reçoit des émanations supérieures masculines. On peut reprocher à Scholem un certain manque de rigueur terminologique. À proprement parler, « passivité » ne s’oppose pas à « activité », mais à impassibilité. Être passif, c’est avoir la faculté de recevoir, de pâtir, ce qui n’exclut pas la capacité d’agir.

Et c’est bien le caractère de la dimension féminine dans la kabbale, qui est éminemment passive et qui est dotée de la forme d’activité la plus énergique et la plus créatrice dans le monde des Sephirot ou des émanations. Si beaucoup de kabbalistes ont tenu à souligner que le principe féminin tenait toute sa substance de ce qui lui parvient des échelons plus élevés, c’est surtout pour éviter de faire de cette dimension une figure autonome, car elle se trouve être représentée sous des traits si évocateurs, dans le Zohar par exemple, que le risque de la croire séparée du reste des émanations n’est pas négligeable. C’est presque uniquement pour qu’on ne la confonde pas avec une déesse, parèdre autonome du dieu, que l’hétéronomie et la dépendance de la dimension féminine ont été l’objet de tant d’insistance dans maints écrits de la kabbale.

Quant au fond, il n’est pas douteux un instant que le féminin est un aspect divin plus actif et historiquement effectif que l’aspect masculin. Celui-ci reste souvent à l’arrière-plan dans les écrits des kabbalistes, et sans être complètement impassible et inactif, il remet en quelque sorte le sort concret du cosmos au pouvoir discret de sa partenaire féminine, n’intervenant lui-même comme tel dans des situations extrêmes, comme par exemple en faveur de sa compagne en exil. La figure divine la plus agissante, celle dont la puissance se manifeste le plus fréquemment, est bien la figure féminine.

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