Lévitique 18:22

 

Source : Les deux visages de l’Un : le couple divin dans la kabbale par Charles Mopsik, préface de Moshé Idel, éditions Albin Michel

La première chose qui frappe le lecteur [dans Réparation 22, in. Cha’ar Rouah ha-Quodech par R. Hayyim Vital] et qui est répété à plusieurs reprises est qu’étant donné l’absence de lieu de pénétration dans un mâle, celui qui couche avec un autre homme commet l’erreur de croire qu’il s’accouple avec lui, alors qu’en réalité, il s’accouple sexuellement avec la dimension maternelle de la divinité. Ce qui tient lieu d’espace recevant la pénétration n’est pas un organe sexuel masculin, mais l’organe sexuel (le Yessod ou Fondement) de la Mère d’en haut. Celle-ci est obligée de descendre jusqu’à ce niveau représenté par un site de la configuration divine appelée Ze’ir Anpin, le Fils.

Cette descente exagérée de la Mère, qui se glisse dans une partie du Fils, qu’elle ne devait pas investir, constitue le dommage essentiel causé par la transgression de l’Interdit biblique. Cette visite impertinente de la Mère dans les entrailles du Fils entraîne aussi une descente du Père. Mais la Mère n’est pas masculinisée pour autant, contrairement aux apparences et à ce qu’est censé imaginer l’auteur d’une semblable pratique, cette descente de la Mère n’implique pas qu’elle peut s’épancher sur les « fils », au contraire, elle est féminisée, réduite à l’état de passivité dans la mesure où c’est le mâle qui s’épanche en elle et non l’inverse.

Dans le cadre de cette pathophysiologie exogène de la structure du monde supérieur, les « Face » représentant le « souvenir » en tant qu’activité sont supplantées par les « Dos » ou les « Derrières » représentant « l’oubli » en tant que pure passivité. Et c’est bien une sorte de féminisation générale qui atteint le réseau des interactions entre les différents échelons de la divinité.

Les pratiques pénitentielles qui sont proposées par R. Isaac Louria, et qui visent la restauration du bon ordre de ce système, sont calquées sur la dynamique des détériorations qui l’ont endommagée. Il s’agit pour le pénitent de reproduire sa faute de façon symbolique, tout en s’infligeant à lui-même une sorte d’équivalent des blessures qu’il a provoquées dans le monde divin. Mais cette pénitence recèle des éléments supplémentaires.

En se roulant tout nu dans la neige un nombre de fois déterminé par la valeur numérique du mot pied (=233) le repentant accomplit un acte de soumission envers l’ordre du monde supérieur et en particulier envers la Mère d’en haut dont sa faute avait causé la descente intempestive. La neige est considérée dans la tradition kabbalistique comme un symbole de la semence masculine. En se roulant dans la neige, le pénitent rétablit le contact avec le sperme du Père, avec son épanchement actif auquel il s’abandonne et se remet.

Ce faisant, il entame le processus de re-masculinisation de la Mère qui suppose aussi sa réunification avec le Père et la remontée graduelle de son sexe, la Sefira Yesod à sa place adéquate, à savoir la poitrine du Petit Visage, la figure du Fils. Ainsi, au lieu du contact du sexe de la Mère sur le sexe du Fils provoqué par la relation homosexuelle masculine, la position du premier sur la poitrine du second est à nouveau restaurée.

Le développement de R. Hayyim Vital est porteur d’une rare complexité symbolique, ce qui signifie aussi que le rapport homosexuel est pensé comme étant très difficile à désintriquer, tant il met en jeu des multiples retournements et des données variées. Il faudra attendre plusieurs siècles pour que l’analyse freudienne, dans ses versions les plus élaborées, parvienne à un tel degré de subtilité dans l’approche des mécanismes mentaux qui sont en jeu dans le contexte envisagé.

De plus, la recherche d’une explication cohérente d’une pratique regardée en général dans les milieux religieux [Lévitique 18:22] comme un » abomination contre nature », qui est appréhendée ici comme une « erreur métaphysique », un défaut de raisonnement ou une confusion entre l’autre de même sexe et la « Mère », déplace de manière radicale, la problématique de la transgression sexuelle sur un terrain nouveau : celui de l’anthropologie théosophique et, par conséquent, du souci de comprendre qui succède ainsi à la rage de condamner.

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