Herméneute

 

Source : Hermès, l’Égyptien, une approche historique de l’esprit du paganisme tardif, par Garth Fowden, éditions Les Belles Lettres, collection L’Âne d’or

À un certain moment, les hermétistes commencèrent donc à répandre l’idée qu’il y avait deux Hermès égyptiens : le grand-père et le petit-fils. Dans le Discours parfait ou Asclépius, Hermès Trismégiste évoque la tombe de son grand-père et homonyme, Hermès, à Hermopolis, « sa ville natale », dénommée d’après lui. Manifestement, l’auteur considère qu’Hermès I ne fait qu’un avec Thot ; les Égyptiens étaient, en effet, habitués à l’idée que les dieux pouvaient naître et mourir, non pas au sens evhémériste, mais à titre d’étape dans un processus perpétuel de régénération. L’identification devient explicite dans un passage d’un texte attribué au véritable prêtre et historien d’époque ptolémaïque Manéthon, mais sans doute beaucoup plus récent, où il est fait référence à des « stèles portant des inscriptions en langue sacrée et en caractères hiéroglyphiques écrits par Thot, le premier Hermès. » Mais qui était son petit-fils, le second Hermès ?

Les hermétistes qui insistaient sur le fiat que leurs textes avaient été écrits en égyptien et inscrits sur des stèles en caractères hiéroglyphiques, savaient pertinemment que ces textes ne pouvaient être traduits en grecs sans perdre l’autorité qu’ont les textes sacrés dans leur langue d’origine : « et, en effet, la particularité même du son et la propre intonation des vocables égyptiens retiennent en elles-mêmes l’énergie des choses qu’on dit. » 

Une traduction eût exigé, à tout le moins, le concours actif des prêtres qui conservaient les originaux. Jamblique, par exemple, rappelle qu’un prêtre égyptien nommé Bitys était censé avoir traduit en grec certains textes hiéroglyphiques de Thot et qu’il s’était servi du vocabulaire philosophique grec. Ces textes, Bitys les avait trouvés « dans un sanctuaire de la Saïs d’Égypte », c’est-à-dire précisément l’endroit où, disait-on, Solon avait rencontré des prêtres égyptiens plus savants en histoire de la Grèce que n’importe quel Grec et dont il avait partiellement traduit les archives. Jamblique raconte aussi que Pythagore et Platon, au cours de leurs visites en Égypte, « avaient scruté » les stèles d’Hermès, avec l’aide des prêtres indigènes.

Que ces histoires soient vraies ou non n’a heureusement aucune importance en ce qui nous concerne. Ce qui importe est, premièrement, que les hermétistes ont voulu faire croire que leurs écrits étaient bien les livres de Thot, traduits de l’égyptien en grec ; et, deuxièmement, que la légitimité et le prestige de ces livres étaient conditionnés par l’élaboration d’une explication plausible de la façon dont cette traduction avait pu être exécutée. D’où le dernier tournant dans l’évolution du mythe de l’Hermès égyptien, faisant d’Hermès le Jeune, en personne, le traducteur des textes de Thot.

Commentaires