Source : La Magie du Chaos par Stéphane François
Les origines de la Magie du Chaos sont à chercher chez
un peintre, écrivain et théosophe britannique méconnu, Austin Osman Spare
(1886-1956), considéré par beaucoup de magiciens du chaos comme leur
« grand-père ». Son œuvre picturale et ses poèmes sont fortement
symbolistes, influencés par William Blake (1757-1827), et marqués par l’érotisme
violent.
En effet, ses dessins, qui choqueront les critiques,
mêlent visages torturés, sous-entendus sexuels et références occultistes
(c’était un lecteur d’Éliphas Lévi, pseudonyme de Louis Alphonse Constant
1810-1875, l’un des grands occultistes français du XIXe siècle). Ces dessins
attirèrent à la fois l’avant-garde artistique et les occultistes anglais,
notamment Aleister Crowley qui l’incitera à devenir membre de l’Astrum
Argentinum.
Celui-ci l’initia en 1909 au grade de Probationer.
Mais Austin Osman Spare ne dépassa jamais ce grade même s’il participa
activement à The Equinox, la revue de Crowley. Plus tard, Crowley
s’éloignera de Spare, qu’il qualifiera de « frère noir », l’insulte
suprême chez Crowley. À la même époque, Spare se passionna pour le vaudou et la
sorcellerie. Il dira d’ailleurs ultérieurement qu’il fut initié à celle-ci par
une vieille femme, madame Patterson, qui affirmait être une descendante des
sorcières de Salem et qui avait surtout, selon lui, la capacité de se changer en
une jolie jeune femme sensuelle. Comme beaucoup d’occultistes de cette époque,
il affirmait aussi avoir été en contact avec des entités extraterrestres.
En 1920-1921, il connaîtra un succès éphémère en tant
qu’artiste puis il sombrera dans l’oubli. Toutefois, il continuera de publier
ses textes, qui sont d’une violence inouïe, dont L’Anathème de
Zos (un exemple d’écriture automatique au service de la magie) en 1927. De
cette date jusqu’à sa mort en 1956, Spare vivra pauvrement, à la limite de la
clochardisation, fréquentant clochards et prostituées, « en dépit de
quelques expositions importantes, dont une à la Archer Gallery en 1947. »
Ses textes ne seront réédités qu’après sa mort par son légataire testamentaire
Kenneth Grant, le responsable d’une dissidence de l’OTO.
La doctrine magique de Spare se structure autour du
Culte de Zos Kia. « Kia » est, chez Spare, le « principe
fondamental de la vie, le « Moi atmosphérique » qui se manifeste à
travers Zos, le flux de sensations qui constitue l’homme ». Zos peut aussi
être vu comme la couche la plus profonde de l’inconscient. Chez l’individu,
« Zos » et « Kia » sont séparés par la raison. La puissance
magique naît de la réunion de ces deux principes.
Contrairement à Crowley qui insistait sur le rôle de la
magie sexuelle, Austin Osman Spare cherchait à acquérir la puissance magique au
travers des « sceaux ». Cela ne signifie pas pour autant qu’il
déniait à la magie sexuelle l’importance que lui attribuaient les occultistes,
il lui donnait simplement un rôle différent.
Une fois « le sceau dessiné, il fallait le
visualiser dans sa tête dans la position du cadavre (savasana), sans penser à
rien d’autre. » Spare, influencé par Jung et Freud, croyait qu’on avait
plusieurs inconscients superposés, ceux de nos vies antérieures et celui de
notre vie actuelle. Si un sceau symbolisant un désir particulier était refoulé
au plus profond de ces inconscients, une énergie psychique venue du fond des
âges rendait ce désir réalisable.
Spare fut donc l’un des créateurs de l’utilisation à
des fins magiques des sceaux. Selon Christian Bouchet, « Le sceau est un
programme envoyé à l’inconscient. Il utilise les lettres de l’alphabet
simplifiées et entremêlées afin de créer une figure symbolique. Les lettres
utilisées étant celles du mot définissant le désir à réaliser. » Il mit au
point une technique basée sur l’intention magique et la création d’un sceau
dans lequel l’intention est projetée par la volonté du magicien afin de
produire des effets dans le monde réel.
Selon Spare, « il serait possible de concentrer
n’importe quels désir ou projet de l’homme dans un signe ou symbole, partie
d’un “alphabet du désir” dont chaque lettre est rapportée à un principe
sexuel. » Cette école magique très individualiste se concentre donc sur
l’univers personnel de l’individu et sur l’influence de la volonté du magicien
sur celui-ci.
L’amoralisme de Spare se retrouve dans certaines
pratiques de son culte, qui, il est vrai, est assez proche de la magie noire.
En effet, selon lui, il est nécessaire de surmonter les rapports sexuels
« normaux » avec une femme attirante pour privilégier des compagnes
âgées ou repoussantes, des incubes créés magiquement. Spare prônait aussi une
magie « autosexuelle », inspirée des pratiques thélémites, en particulier
du huitième degré de l’OTO.
Spare développera ses idées concernant la magie sexuelle ainsi que son concept de « position du cadavre » dans un livre, Le livre du plaisir publié en 1913. En effet, la « Nouvelle Sexualité », selon Spare, n’est pas la voie positive du dépassement des dualités, mais l’acceptation de son côté négatif en tant qu’aspect positif. La sexualité est aussi appelée par Spare « la manifestation de la non-manifestation. ».
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