« Seynsverlassenheit »

 

Ill. : Héraclite (1943) par André Masson. Source : Martin Heidegger, philosophie d’un autre commencement par Alexandre Douguine, éditions Ars Magna, collection Heartland.

Pour Heidegger, les présocratiques étaient situés dans le monde, à l’intérieur de celui-ci. Ils étaient des étants parmi les étants, des étants pensants et pensant des étants parmi les étants.

Tels étaient les Grecs anciens dans leur ensemble. En outre, les philosophes, restant dans les étants et pensant aux étants, ont pris le risque de l’élan divin vers l’Être, sans détruire complètement le lien avec l’humanité ou la « naturalité » et, philosophant dans l’émerveillement et l’étonnement, dans un état d’extase merveilleux au moment du daïmon, ils ont permis au logos de penser à travers eux, donnant à l’Être l’occasion de se produire et de se montrer en arrivant à maturité à travers eux.

Tel est le sens de la citation d’Héralicte : « ethos anthropo daïmon », que l’on peut traduire par « un démon, un dieu d’un instant foudroyant, est un ordre pour l’homme. » Le daïmon des philosophes n’est pas simplement un dieu subjugué des étants placé à l’intérieur. C’est un élément d’un modèle de conscience radicalement nouveau, qui possède désormais un point, un point d’appui, à partir duquel l’homme peut regarder les étants qui l’entourent et lui-même avec un degré d’abstraction.

Les philosophes du commencement ont construit un nouveau niveau, un sol artificiel, ne ressemblant en rien à la nature, mais répétant sa structure comme une promenade sur une plateforme surélevée remplace le vol dans l’abîme céleste. En tant que fondateur de la topographie philosophique, Héraclite résiste à trahir le vol et à le remplacer par cette plate-forme. En introduisant le logos et la physis, il évite de décrire l’Être-Seyn comme un système gnoséologique hiérarchisé et structuré.

Plus que tout autre philosophe du premier commencement, Héraclite maintient ce commencement. Il ne s’avance pas trop, ne le perd pas de vue, et surtout, résiste à ce qu’il soit remplacé par un autre type d’étants. En établissant son point de vue sur les étants d’ailleurs il traite cet ailleurs avec une prudence et une douceur extrêmes. Il vénère le logos et permet aux dieux de voler.

La doctrine de Platon va remplacer le flottement de l’ontologie présocratique en concevant l’Être comme une idée. Avec Platon, l’Être devient ce qui est placé devant l’homme, initiant des phénomènes tels que la « présentation », « Vorstellung. » L’homme se place devant les idées, tandis que les idées se placent devant les choses du monde.

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