Pris sur Academia.edu. Imagination, théolâtrie, l’irrépressible adoration de l’invisible par Elliot R. Wolfson, in. Religion in reason, Routledge (2023) chapô et adaptation de l’anglais par Neûre aguèce, no copyright infringement intended, human translation is no duplicate content but a work of art and patience.
« Personne n’a jamais vu Dieu »
Jean 1 :18
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« L’invisible est en creux dans le visible, un pli dans la passivité, et non une pure production… Nous ne devons pas chercher des êtres spirituels, simplement des structures du vide, mais je voudrais implanter ce vide dans l’Être visible, montrer qu’il en est le revers, en particulier le revers du langage. »
Merleau-Ponty : Le Visible et l’Invisible
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« L’invisible souffre précisément de la persistance de sa non-manifestation sous la moindre forme alors qu’il désire accéder à un mode de paraître. »
Marion : La croisée du visible
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« La foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. »
Hébreux 11.1
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« Pour se réveiller de l’illusion, il faut s’éveiller de l’illusion du réveil. »
Elliot R. Wolfson
Introduction.
« Parmi les principes de la foi mosaïque, il en est un qui revêt plus de signification qu’il n’y paraît : l’interdiction de représenter Dieu, l’obligation d’adorer un Dieu invisible, de subordonner les sens à une idée abstraite… ce qui représente un triomphe de la spiritualité sur les sens, plus précisément, une renonciation à l’instinct, avec toutes les conséquences psychologiques que cela implique » (Sigmund Freund : Moïse et le monothéisme)
L’aniconisme du judaïsme et son Dieu irreprésentable distinguent le monothéisme juif du culte solaire d’Akhenaton qui l’aurait pourtant inspiré. Cette caractéristique du judaïsme fait écho à la Critique du Jugement de Kant : le sublime représente la suprématie de l’intellect sur les sens, une catégorie que le philosophe de Königsberg faisait dériver de l’interdiction de réaliser des images taillées.
De ce point de vue, la prééminence de la Geistigkeit sur la Sinnlichkeit procure un avantage aux Juifs en leur inculquant un orgueil démesuré, un sens de l’élection qui leur donne le courage d’endurer des siècles d’infortunes, de rester unis malgré leur dissémination, grâce à l’étude du texte sacré, et aussi d’infléchir la prédisposition humaine à la violence. Sur un autre plan, cette passion pour l’abstrait peut nuire à l’harmonie du psychique et du somatique, cette harmonie que cultivaient les Grecs.
Le judaïsme renonce aux sens (à la mère) au profit de l’esprit (du phallus, du Logos, du père) ; selon Daniel Boyarim, cette interprétation de Freud serait une tentative de neutraliser Otto Weininger qui, lui, affirmait le contraire : la virilité chrétienne kantienne contre la féminité morale et psychologique du judaïsme.
En 1930, dans une préface à la traduction hébraïque de Totem et Tabou, Freud reconnaissait son ignorance de la langue des saintes écritures, son éloignement de la religion des pères, et même son éloignement de toutes les religions, ainsi que son incapacité à répondre à l’idéal nationaliste des juifs. Et pourtant, Freud ne reniait pas son appartenance, il persistait à se définir en tant que Juif. À la question que me reste-t-il de juif, il répondait : « Une grande partie, peut-être même la part essentielle. »
Bien qu’il ne parvînt pas à l’exprimer clairement, il pensait que « cela serait bientôt compris par les scientifiques. » L’essence du judaïsme qu’il revendique tient en fait au « progrès vers la spiritualité », « der Fortschrit der Geistigkeit », au parti pris de l’abstraction contre la sensualité. Son essai sur Moïse peut se lire comme une prolongation de l’Interdit de la représentation : il faut s’interroger sur les images plutôt que sur leur tangibilité.
L’avenir d’une illusion ou comment l’effacement de l’imagination non-figurative (le judaïsme) permet d’imaginer l’effacement du figuratif lui-même. Et c’est ainsi que le judaïsme, que Freud ne pratiquait pas, qu’il avait oublié, dont il s’était éloigné et qu’il critiquait, lui avait donné, malgré tout, la possibilité de court-circuiter l’économie libidinale en refusant de réifier visuellement le divin.
Théolâtrie : un Dieu invisible mais personnel.
Philosophiquement, qu’est-ce que cela implique d’adorer un Dieu invisible ? « Le seul véritable choix, écrivait Simone Weil, est entre un Dieu authentique et une idole. Tout athée est idolâtre, à moins qu’il ne croie en le vrai Dieu impersonnel. La majorité de ceux qui se disent pieux sont en fait des idolâtres » La notion d’un Dieu invisible mais personnel fait écho à la phénoménologie de Levinas, en particulier aux efforts de Husserl pour délimiter les contours du donné et du visible.
Seul Dieu est seul affirme le judaïsme : le Tout-Puissant est « Celui qui est l’être », « der Seienden », ou selon Hermann Cohen, « la transformation du neutre en une personne » pour qui cette transformation « rend l’anthropomorphisme inévitable » et que, pourtant, le judaïsme est parvenu à contrer
Concevoir Dieu comme une personne et non comme une abstraction : telle est la distinction fondamentale entre monothéisme et idolâtrie. Cette distinction recoupe la différence entre Dieu et la nature. « À partir de la solitude de Dieu, ‘Einzigkeit’, opposée à son unicité, ‘Einheit’, nous déduisons son incommensurabilité à toute chose, ‘Unvergleichbarkeit’ et ceci nous mène à distinguer entre être et existence, ‘Sein und Dasein.’ » (Hermann Cohen)
L’existence se démontre par les sens, alors que la raison, contre tout empirisme, actualise l’existence, en découvrant, en élevant l’abstrait à l’être, en le manifestant comme l’être authentique. » La personne de Dieu est son intangibilité même, tout comme pour Levinas, « l’illéité » est l’infini qui se manifeste dans le visage d’autrui, tout en demeurant invisible, comme une trace, une marque.
Comment imaginer un être inimaginable ? Comment un Dieu personnel et pourtant indiscernable peut-il faire l’objet d’une dévotion ou d’une pratique spirituelle ? Une post-phénoménologie, ou une phénoménologie du non-phénoménal, s’avère nécessaire pour appréhender le don du retrait, l’être qui se donne dans son retrait ; lorsque l’invisible ne peut se manifester que dans l’excès d’une présence qui se dérobe continûment, qui élude la visibilité.
En termes heideggériens, une dette que Levinas admettait avec difficulté, la notion d’un dieu personnel mais invisible nous force à accorder une valeur équivalente à l’apparent et au non-apparent, ce qui remet en question la phénoménologie de Husserl selon laquelle tout acte de pensée est corrélée à un objet, « toute conscience est conscience de quelque chose. »
La réduction phénoménologique ne se limite pas à l’hypothèse que quelque chose est mais dans le fait que ce quelque chose apparaît dans la conscience comme un donné. À partir du moment où l’être se donne dans son refus, où son être est sa dissimulation même, l’être se manifeste par sa non-manifestation. Dans Être et temps, Heidegger admettait que l’auto-manifestation de Dieu, « Das Sichzeigen », est celle d’une présence qui ne se manifeste pas. »
« L’apparence, en tant qu’apparence de quelque chose » n’implique pas que quelque chose se montre ; au contraire, quelque chose qui ne se montre pas se présente à nous sous l’apparence de quelque chose qui ne se montre pas. L’apparence n’est pas une monstration de soi mais ce qui ne se montre pas dans son mode de présentation, ce qui ne paraît pas, ce qui n’est pas évident dans le visible. La signification la plus essentielle de « l’apparence », « Erscheinung », est ce qui indique la non-évidence dans sa manifestation même, ce qui en émane de telle sorte que le non-évident [Nichtoffenbare] soit pensé comme ce qui, essentiellement, n’est jamais évident, manifesté.
Rien ne fait obstacle au phénomène, rien ne se tient devant lui, mais c’est précisément parce que les phénomènes sont originellement et pour la plupart non-donnés que la phénoménologie s’avère nécessaire. Le recouvrement est le contre-concept du phénomène ou, comme le dit Heidegger : « Die Verbergung gehört wesenmässig zur Unverborgenheit. » La dissimulation appartient essentiellement au non-dissimulé. La non-vérité en tant que non-dévoilement appartient inextricablement à la vérité en tant que dévoilement.
Dans son œuvre ultérieure, Heidegger poursuivra une identification paradoxale de l’auto-dévoilement comme occultation, de l’événement non-phénoménal, l’événement de l’être, en tant que « clairière de l’inapparent » qui rend possible l’apparition des étants mais qui, en lui-même, n’est rien que le néant essentiel qui échappe à l’apparence de l’étant. Tel un don sans don, l’invisible n’apparaît que dans la mesure où il se cèle dans le visible.
Sur ces prémisses, Jean-Luc Marion médite sur la « finitude du monde qui abrite et concentre une phénoménalité non-constituée, indéfinie », lorsque ce qui se montre naît de l’ombre de l’invisible, vers la lumière du visible, mais comme la manifestation d’une occultation, comme la visibilité transparente d’une lumière qui découpe l’invisibilité et l’opacité de l’ombre. Le phénomène rend le visible invisible par l’excès de son amoindrissement et l’invisible visible par l’amoindrissement de son excès.
Marion évoque « l’amplitude intensive » du « phénomène saturé » qui le rend « insoutenable au regard », une sidération « qui est un non-voir car il faut d’abord percevoir, si non voir, afin d’éprouver cette incapacité ; il s’agit d’un visible que notre regard ne peut soutenir. » Cette gloire que le regard ne peut soutenir se caractérise comme l’invisible vu en tant que non vu, perçu comme imperceptible. L’aveuglement devient vision et la sidération, une non-vue, un invu, par lequel la finitude de l’être est éprouvée comme un surplus d’infini.
« L’invu apparaît à la fois comme le plus apparaissant possible, même comme l’apparaissant insupportable. » Le phénomène visible n’apparaît qu’au travers du brouillard de son invu, de ce qui toujours déjà ne peut atteindre la visibilité, mais qui reste pour autant un « visible possible », dont la « phénoménalité s’accomplit négativement, par l’émanation d’un halo d’invu autour de tout phénomène, et par lequel chaque phénomène se rend lui-même visible. Tout ce qui se constitue en phénomène ne suscite sa visibilité qu’en proportion de son invu.
Marion rompt avec Heidegger en considérant cette phénoménologie paradoxale comme un chemin d’accès à l’invisible en tant que réalité théologique :
« Les variétés de l’expérience de la conscience religieuse donnent intuitivement, par indices, des objets intentionnels qui sont de facto invisibles : le religieux devient manifeste et la révélation, phénoménale. Ce que la philosophie de la religion tend à clore, la phénoménologie de la religion le rouvre… La phénoménologie serait la méthode par excellence pour saisir la manifestation de l’invisible par le phénomène. La méthode phénoménologique s’applique ici à la théologie en réduisant le révélé à l’expérience vécue du révélé, et par là même, à l’occultation du révélé se révélant lui-même. »
Cependant, la conscience n’atteint ainsi aucun transcendant, aucun objet révélé, mais se nourrit de l’expérience vécue de sa foi solitaire : la phénoménologie prolonge la théologie dans la seule mesure où elle « illumine le mode absolu de présence qui sature l’horizon, tout horizon, par l’évidence de sa sidération »
Une telle présence sans horizon ne peut se présenter comme un objet limité ; précisément parce qu’il n’occupe aucun espace, qu’il ne capte aucune attention, qu’il n’attire aucun regard. Dieu brille par son absence, mais cette invisibilité ne contredit pas sa donation ; au contraire, elle l’atteste.
Dieu se rend invisible non pas en dépit de sa donation, mais par sa donation même. Un néant d’objet que Marion identifie à la notion chrétienne de kénose, d’humiliation du Fils, comme ouverture d’un espace où le regard de l’invisible peut briller, comme un anti-regard.
Figuration onirique : démasquer le masque de l’invisible
Même si nous admettons la possibilité ontique d’un être invisible, il n’est pas aussi simple d’établir l’accessibilité phénoménologique d’un être personnel qui serait invisible, en tant qu’il serait absolument dissimulé, retiré dans son invisibilité, comme une intériorité privée de toute extériorité, non manifeste dans le monde phénoménal.
Comme le remarquait Michel Henry à propos de la peinture de Kandinsky, « toute apparence implique une multitude d’autres apparences, qui, toutes, ne peuvent être perçues simultanément » ; toute perception d’apparence est en même temps erreur de perception.
Cette part de non-manifesté dans le manifeste implique une disjonction ontologique entre la transcendance et l’immanence qui remet en question la théorie platonicienne de la mimésis entre les images visibles et leurs modèles invisibles. Dans son essai L’entrelacs, le chiasme, Merleau-Ponty écrit : « L’invisible de ce monde est l’invisible qui habite ce monde, qui le soutient, qui le rend visible, en tant qu’il est sa propre possibilité intérieure, l’Être de cet étant. »
L’invisibilité selon Merleau-Ponty n’est ni un étant ni un néant, ni une propriété, ni un accident, mais la condition de possibilité de toute phénoménologie, l’invisible cerne toute vision. L’invisible est le revers du visible, l’extériorité intangible qui est l’intériorité du tangible, « présentation originaire de l’imprésentable. »
Tout étant visuel, en tant qu’individu, est aussi dimensionnel, en tant que déhiscence de l’Être. Tout ce qui est visible se voit doublé d’invisibilité, et rend présent une forme d’absence, être présent comme absence, et non comme absence d’une absence.
L’acte de vision ne vise pas tant la forme intelligible d’une essence non-physique, ou une forme intelligible d’essence non-physique dans un autre monde, que l’immanence du cerne de l’invisible qui transparaît au travers du voile perceptuel et conceptuel (linguistique) du voile du visible, une transcendance tournée vers les profondeurs du dedans plutôt qu’une transcendance des lointains horizons.
Cette immanence n’est pas la négation de toute transcendance : ni transcendance immanente, ni immanence transcendante, mais transcendance par immanence et immanence par transcendance.
« Husserl parle d’un ‘entrelacs’, non comme un mélange d’immanence et de causalité, à travers le soi et l’autre, « ineinandersein », mais comme la découverte d’une troisième dimension, celle de la philosophie de l’Être, du présent vivant, de son entrelacs au présent et au passé ; le présent comme unité de conscience et d’histoire, toujours-déjà-là en développement, comme une identité à distance, verticale. »
De la verticalité de cette troisième dimension, le vortex de l’infini présent où présent et passé se rencontrent, « toujours-déjà-là en développement », dans l’entrelacs du soi et de l’autre, « ineinandersein », on peut inférer l’omniprésence horizontale de l’intangible, incarné dans une singularité sensible. « Il n’y a plus de problème de concept, de généralité, d’idée, une fois que l’on comprend que le sensible même est invisible, que le jaune de la couleur jaune s’établit comme une ligne d’horizon. »
« L’événement de l’ordre de l’ontologie primaire de l’être brut implique que tout corps visible donné s’évide, s’échappe par un versant invisible : l’en-soi, compris non pas comme néant, ni comme étant, mais comme l’entrelacs de la chose, du monde et du temps. L’interaction du visible et de l’invisible. »
Cet aspect s’éclaire par l’approche de la profondeur et de l’épaisseur de l’expérience sensible : « Ce qui rend la profondeur invisible à mes yeux, c’est précisément ce qui la rend visible au spectateur sous l’aspect de son épaisseur… La profondeur jugée invisible est toujours-déjà dotée d’une épaisseur. »
Le chevauchement de la profondeur et de l’épaisseur dans l’évidence intersubjective du monde évoque l’ontologie de la chair que Mereau-Ponty identifie comme l’authentique présence-au-monde, Uberpräsentierbarkeit, « ce qui est essentiellement destiné à être exposé. »
La charnalité du corps est vouée à l’interaction du visible et de l’invisible, à l’entrelacs de la présence et de l’absence, du silence et du langage ; elle constitue l’axe de recoupement des dualismes métaphysiques, de l’idéal et du matériel, de la nécessité et de la contingence, de la transcendance et de l’immanence, de l’être et du devenir, de l’actif et du passif, de l’onirique et du factuel, du virtuel dans le réel et du réel dans le virtuel.
« Le monde est vision du monde et ne saurait être autre chose. » Il n’y a de vue que d’un monde concret et pourtant, la concrétude du monde est tellement multiple que ce monde ne pourrait subsister s’il n’était troué d’invisible. »
Telle est me semble-t-il le sens de la réflexion de Merleau-Ponty, en date du 26 novembre 1959 : « Il n’y a pas de métaphore entre le visible et l’invisible… la métaphore en dit trop ou trop peu, trop si l’invisible le reste et trop peu si l’invisible se transpose. » Pourquoi ce rejet de la métaphore comme articulation entre les deux règnes ? Tout simplement parce que le besoin ne s’en fait pas sentir : aucune métaphore ne vaut puisqu’il n’y a pas de pont à franchir et que les deux domaines, le visible et l’invisible, communiquent sans solution de continuité et se fondent toujours-déjà l’un dans l’autre.
De même, nous ne pouvons penser le mouvement car l’être de son devenir présuppose qu’il échappe au séquençage de notre vision. Dans son œuvre ultérieure, Merleau-Ponty va jusqu’à dire que l’invisible se trahit dans la viscosité du visible comme ce qui n’apparaît pas, comme le donné de ce qui se donne comme élusion, le retrait de l’être donné.
L’entrelacs du visible et de l’invisible trouve un équivalent dans la dialectique de l’illusion et de la réalité, sous les auspices du rêve, ce que Merleau-Ponty appelle « l’onirisme de veille ou la manière dont le dormeur est plongé dans le rêve, à la fois absent et présent à lui-même. »
Dans les paysages du rêve, l’oubli de soi rend possible la manifestation du soi ; l’identité du rêveur se dissout en une sédimentation, une fluidité, où « il n’y a pas véritablement d’activité ou de faire, mais un voir-faire, une dictature du visible », un état mental, « pseudo-monde », qui n’est pas exactement conscience de quelque chose, d’une chose à distance, mais dans lequel toutes choses participent à l’ambivalence du soi, où sujet et objet s’interpénètrent jusqu’à l’indistinction.
Par analogie, l’invisible se dissimule dans l’ouverture du visible, tout comme le visible se dévoile dans la dissimulation de l’invisible. Dans un fragment de 1959, Merleau-Ponty écrit que l’invisible « n’est pas la contradiction du visible : le visible lui-même a une membrure d’invisible, et l’invisible est la contrepartie secrète du visible, qui n’apparaît qu’en lui, en tant que Nichturpräsentierbar, ce qui se présente à moi depuis le monde ; on ne peut le voir et tout effort pour le voir le fait disparaître, et pourtant, il est dans la ligne du visible, comme son foyer virtuel, inscrit au-dedans de lui, dans son filigrane. »
Nichturpräsentierbar : paradoxe du non-représentable originel, présence au monde sans présence. Si le « visible est enceint de l’invisible » nous pouvons suivre la logique à son terme : « le visible de l’autre est mon invisible et mon visible est l’invisible de l’autre »
L’être est ce chiasme de la raison par lequel mon visible, bien que non superposable à celui de l’autre, ouvre néanmoins sur lui, et tous deux au travers du même monde sensible. L’invisibilité irrigue le champ du visible mais l’invisible est rendu invisible par le dépouillement de sa propre invisibilité.
« L’invisible est là sans être un objet » écrit Merleau-Ponty en janvier 1960, « il est pure transcendance sans masque ontique et les visibles, eux-mêmes, en dernière analyse, sont centrés sur un noyau d’absence. »
Il n’y a rien d’ontologique ou d’onto-théologique dans l’invisible, pas de transcendance transcendante à l’immanence : il n’y a que la pure transcendance de la pure immanence. Le transcendantal est « un champ de transcendances » et la réduction de la sphère intersubjective se suffit, toujours déjà au-delà, à la fois hors de soi et en-soi.
Au-delà de la transcendance et de l’immanence, il n’y a pas d’autre transcendantal, mais l’expérience du monde ressentie comme entrecroisement général des intentionnalités, l’espace-temps commun de l’empathie et de l’incarnation intersubjective.
L’invisible ne montre pas de masque ontique, l’invisible n’a rien d’un inconscient ; les choses visibles s’expérimentent dans un monde plié autour d’un nœud d’absence, le vide au cœur de l’évidence de l’être, la fécondité du négatif, la doublure du néant en tant que différence entre les identiques — il semble qu’il y ait à cet égard une affinité entre la pensée de Merleau-Ponty et le Mahâyâna bouddhiste.
« Quand je dis que tout visible est invisible, que la perception est imperception, que la conscience a un punctum caecum, que voir c’est toujours voir plus qu’on ne voit, il ne faudrait pas imaginer que j’ajoute au visible parfaitement défini un en-soi non-visible, qui ne serait qu’une absence objective, donc une présence objective située quelque part d’autre, dans un autre-part essentiel. Au contraire, il faut le comprendre comme le visible lui-même qui implique un non-visible. L’invisible du visible appartient au rayon du monde. » (Merleau-Ponty, Mai 1960)
Le sens de cet invisible correspond à la phénoménologie heideggérienne ; en tout cas, elle ne renvoie pas à l’affirmation par Levinas d’un Dieu invisible mais personnel, ou à une altérité ineffable dont l’extériorité sans qualité la situerait au-delà de l’horizon du visible, dans un autre que l’être, qui serait événement de l’être au-delà de l’ipséité et de l’altérité. Mais qu’est-ce alors que cette révélation invisible ?
« La transcendance repose sur l’immanence. La vérité originelle est fondation de l’authentique. À l’origine de la transcendance, la vérité originelle est la condition ontologique pour la possibilité de toute transcendance, phénomène dont elle constitue la fondation. C’est en soi un phénomène, mais au sens irréductible, une révélation immanente. »
« Que la fondation de l’authentique soit un « phénomène », au sens d’une « révélation », est ce qui confère à cette fondation sa vérité et sa réalité en lui conférant un moment de présence et dans cette mesure, elle a trait à l’origine, à la présence qui n’est pas subordonnée à un horizon de présence, ni à l’être des choses, qui n’est en réalité jamais présent, mais à l’horizon lui-même. La présence ontologique originelle, qui échappe aux conditions générales de l’Être, est celle de l’ego lui-même. L’être phénoménologique de l’ego est celui de la révélation originelle accomplie dans une sphère d’immanence radicale. »
Le fondement de la possibilité ontologique tel que Henry le décrit n’est pas un phénomène transcendant, mais « une révélation immanente qui est présence à soi, même si une telle présence demeure invisible. » Une telle existence ne doit rien à aucune transcendance, elle la précède plutôt, et la rend possible. « La tâche méthodologique de la phénoménologie doit être interprétée à la lumière d’une philosophie de la transcendance. »
L’entreprise phénoménologique doit amener à la lumière ce qui est caché, rendre manifeste le non-manifeste, mais de telle sorte que ce qui est exposé demeure occulté. Au contraire de Levinas, l’invisible n’est pas antithétique au visible ; l’opposition non-dialectique entre les deux présuppose un lien qui prévient simultanément de les considérer comme des antinomies. La « structure ontologique de la réalité » dépend d’un « mode originel de dévoilement par lequel le phénoménal se phénoménalise lui-même en tant que dissimulation de l’essence. »
Henry prolonge la tradition de la théologie apophatique de Maître Eckhart selon qui « la révélation est dans le non-savoir » d’où s’en suit que seul l’aveugle voit. La révélation de l’essence absolue est le non-savoir et constituée par le non-savoir ; l’œuvre de révélation n’est pas seulement l’occultation initiale qui rend impossible toute entreprise de connaissance.
« Cette œuvre est aussi de révélation, de détermination dans un non-savoir qui montre que la phénoménologie effective de l’essence ne se manifeste pas telle quelle dans le monde et ne peut être connue, car elle est sans visage. »
Le processus dialectique par lequel l’invisible s’insère dans l’unité ontologique originelle du monde trouve son expression phénoménologique dans les modalités concrètes par lesquelles la constitution du monde prend place. Et malgré tout, l’invisible persiste.
« Ce qui ne se montre pas est le moment initial de ce qui se montre, sa détermination originelle et, en même temps, sa modalité de limite. L’invisible est la non-essence qui est la négation vide et formelle du monde, mais cette non-essence est l’essence dont la manifestation se dissimule dans la manifestation dissimulée de ce monde. »
L’absence de visage de l’essence indique que « la révélation originelle de l’essence à soi, constitutive de sa réalité, reste invisible » parce qu’elle constitue la révélation originelle de l’essence à soi et sa réalité, mais l’invisible n’est pas l’antithèse de la phénoménalité, plutôt, sa détermination première et fondamentale.
Retournant le principe de contradiction, Michel Henry identifie l’invisible comme la détermination principale de la phénoménalité, ce qui demeure non-vu configure ce qui est vu. L’invisible est coextensif à l’essence originelle et co-intensif à sa concrétude, ce qui mène à dire :
« L’invisible se phénoménalise soi en tant que soi, de part en part, en tant que révélation, et, plus encore, en tant qu’essence de la révélation. La nuit pénètre l’essence de la révélation en tant que ce qui se révèle en elle en tant que soi. La nuit est la révélation de l’essence de la révélation, elle constitue et définit l’effectivité de son contenu phénoménologique spécifique… »
« Si la négation incluse dans le concept d’invisible n’est pas celle de la phénoménalité, mais qu’elle détermine le mode de phénoménalisation originelle du phénomène, et qu’elle nous aide à concevoir le concept, alors, la prétention de chercher l’origine de tout savoir dans l’évidence visible perd de ses droits et se retourne. »
La nuit inhérente à l’événement-révélation, la lumière originelle de la nuit poétique, donne voix au paradoxe déjà rencontré : l’invisible est l’essence qui demeure cachée dans l’auto-déploiement de la révélation. L’essence demeure cachée non pas en vertu d’une transcendance qui ne serait pas révélée, ou qui ne serait visible que selon une autre perspective, mais parce qu’elle ne peut être révélée que comme ce qui demeure caché dans la révélation même.
« Car l’invisible n’est rien de ce qui pourrait être au-delà du visible, rien de transcendant, mais l’essence originelle de la vie, telle qu’elle se déploie sur un plan d’immanence radical, et qui ne s’érige jamais en transcendance, et qui ne peut se montrer soi-même sous cette forme. »
Ce qui se manifeste est le contour phénoménologique d’un horizon de transcendance de l’Être et non son essence ; se manifester, en conséquence, c’est être apparence de quelque chose : « ce qui se manifeste en cette apparence n’est pas la chose dont elle est l’apparence, mais seulement l’indice de cette chose, qui est ce qui ne se manifeste pas soi-même dans le contenu phénoménologique effectif de cette apparence même. » Se manifester c’est se cacher, ou plus précisément, indiquer quelque chose qui diffère de soi à l’apparence qui en indique la présence.
Michel Henry cite Fichte pour qui « la forme nous dissimule toujours son essence » en précisant :
« La forme de l’horizon peut être comprise comme dissimulation de l’essence à la condition que ce soit l’essence elle-même qui se manifeste sous la forme de cet horizon… la réalité ontologique ne se dissocie pas de la forme par laquelle elle se présente, car elle est cette forme en tant que telle. La réalité ontologique de l’horizon de l’Être est identique au contenu phénoménologique de l’horizon, car cette réalité ontologique essentielle est le pur contenu phénoménologique par lequel elle se montre en ce qu’elle est. »
Le non-apparent ne peut apparaître sauf en tant que non-apparent et toute apparence de la réalité ontologique de l’essence est une non-apparence.
Apophase : l’icône de l’invisible.
Dans son Journal d’un séducteur, Kierkegaard écrit : « un oiseau, s’il est bel et bien présent, ne pourrait pas plus être invisible que la musique ne pourrait être inaudible, mais Dieu, lui, peut être qu’invisiblement présent, inaudiblement présent ; que le monde ne le perçoive pas ne prouve rien. »
Cette appréhension a une longue histoire dans la théologie chrétienne : elle se trouve en Hébreux 11.1 : « La foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. » Mais on pense également à la réponse de Dieu à Moïse en Exode 33 :20 : « Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre » ou à Jean 1.18 : « Personne n’a jamais vu Dieu » Colossiens 1.15 dit « C’est lui qui est l’image [icôn] du Dieu invisible », l’image par laquelle nous voyons ce qui n’a pas d’image.
Le divin est la croisée du visible et de l’invisible, là où nous voyons en Christ ce qui ne peut être vu. L’invu, au contraire de l’invisible, est ce qui refuse d’entrer dans le domaine du visible hormis comme apparition, comme provisoirement invisible, qui porte la possibilité paradoxale de transgresser sa propre loi en requérant la visibilité. À l’opposé de l’idole qui impose une distance entre le divin et sa matérialisation, la représentation iconique de l’irreprésentable incarne le paradoxe du visible augmenté en proportion directe de sa part d’invisible.
L’économie de l’icône, entre visible / invisible et invisible / visible, nous montre comment le visible ouvre sur l’invisible précisément parce que cet invisible établit un espace en creux dans lequel le visible livre son invisibilité. L’eucharistie concrétise visiblement une grâce invisible et Marion écrit : « Le visible ne paraît au jour que sous la contrainte de sa finitude, couronné de cette faille, l’invu. »
Le jeu de miroir entre l’icône et l’orant laisse entrevoir la montée de l’invisible : « Le regard de l’icône contemple l’orant dont le regard se lève vers l’icône : le regard peint répond par l’invisible au regard de la prière et transfigure sa propre visibilité en l’incluant dans l’économie scopique, dans l’entrecroisement au travers de l’icône, de l’intérieur vers l’extérieur et de l’extérieur vers l’intérieur, du regard de l’orant qui regarde le saint et du regard du saint qui regarde l’orant. »
Dans la théologie chrétienne, la notion d’un Dieu invisible provient non seulement de l’acosmisme juif mais aussi de l’apophase platonicienne qui exprime l’Un au-delà de l’être et de la représentation. Les sources néoplatoniciennes et chrétiennes postulent la nécessité d’une table rase de l’intellect pour atteindre la vision ultime, le voir qui n’est pas voir.
La contemplation est une progression vers ce qui ne peut être vu, Dieu en tant que non-connu ; le pinacle auquel l’esprit parvient s’illumine alors de la « ténèbre lumineuse » dont parle Grégoire de Nysse et cet oxymore nous indique que l’aveuglement des sens physique prélude à l’intuition spirituelle fondamentale.
Récemment, le postmodernisme a réactualisé ces tendances en évoquant une « religion sans religion », uniquement fondée sur le langage, comme chez Derrida. Sans doute peut-on l’interpréter comme cette compulsion scopique contrariée, typiquement juive, dont parlait Freud.
Ces courants théologiques tentent de circonvenir les apories d’une objectivisation onto-théologique du divin, mais leur iconoclastie fait long feu. Les idoles qu’ils érigent sont celles de la déconstruction, mais des idoles tout de même. De telles tendances apophatiques tentent de préserver une transcendance invisible, au-delà du visible, pour contourner le présupposé phénoménologique comme quoi il n’y a pas de réalité derrière le voile de l’apparence, comme quoi l’être ne serait qu’apparence tout entière, apparence d’être.
Ces tentatives de sauvetage corroborent la suspicion de Daniel Colucciello Barber : « l’opposition de l’immanence à la transcendance n’évacue pas le discours théologique et ses présupposés ; au contraire, elle les renouvelle, même si c’est sous d’autres termes, autrement, car cette terminologie ne représente plus une transcendance. »
Néanmoins, par de tels biais, ces néo-théologies tentent de reformuler le désir de capture de la transcendance en l’enveloppant dans le champ d’immanence lui-même. Ce résidu théologique persiste par exemple dans l’évocation d’un langage anonyme qui nous préexiste, comme une transcendance impersonnelle : la persona monothéiste se survit par-delà l’effacement du christianisme.
Le tout-autre reste autre, irrémédiablement. Mes propres travaux sur la mystique juive m’ont appris qu’il n’y a de vérité sans l’apparence de non-vérité, pas de représentation qui ne soit ipso facto une défiguration, pas de forme qui ne soit une déformation, pas de révélation sans occultation, pas de description de l’infigurable sans le masque d’une figure.
Phénoménologiquement, il est juste de considérer l’invisible comme l’essence du visible, ou comme le non-manifeste, ce qui se manifeste dans l’apparence du non-apparent. Le non-phénoménal n’est pas l’absence de phénoménalité, mais la phénoménalité d’une absence, la lumière qui ne peut être vue que comme ténèbre.
L’infini ne peut être vécu directement, ni compris dans toute son altérité radicale, mais les trois monothéismes restent hantés par ce désir de représentation, ou comme l’exprime F. LeRon Schult : « Le monothéisme est un désir contradictoire appliqué à l’infini, simultanément exacerbé par une volonté de proximité anthropomorphique et contrecarré par une bigoterie iconoclaste. »
Philosopher à coups de marteau et en finir avec les idoles ? Il faudrait d’abord que cette via negativa dépasse le biais anthropocentrique, par-delà le masculin et le féminin. Une théologie apophatique conséquente, une « athéologie », se devrait être un iconoclasme extrême, sans compromis envers l’idolâtrie, depuis le point de vue d’un néant absolu et sans visage, au-delà de l’être et du non-être.
Or, même en ce cas, l’infini et l’abyme conservent en général leur caractère masculin ou féminin. Même si la dyade se dépassée dans une dimension surnaturelle, le féminin joue le plus souvent le rôle de l’altérité, de l’inessentiel, ou de l’essence qui se refuse à l’essentialisation.
Au contraire, l’apophase de l’apophase, que j’évoque dans mes écrits, franchit le pas : non plus seulement réduire l’identité de l’autre au même, mais amplifier la différence du même à l’autre. Surmonter l’ontologie de la différence par la valorisation d’une diversité indéterminée ne peut s’enraciner que dans un espace-limite où il n’y a pas d’autre parce qu’il n’y a rien que l’autre dans l’absence du même qui n’est pas marqué comme autre.
Abstraction faite de tout politiquement correct, l’apophase serait alors un défi à la théologie de l’irréductible différence au profit d’une théologie de la réduction à l’universel.
« Le transcendant ou le Tout unifié et unifiant est ontiquement indéterminé, c’est-à-dire indéfinissable sur le mode d’une multiplicité ontique ; cette indétermination ne résulte pas des êtres en général, mais de leur multiplicité et de leur particularisme ; penser intrinsèquement la diversité de l’Être même ne rompt pas sa relation nécessaire aux étants. »
La totalité de l’infini est constituée de la fragmentation de la finitude, et non par un principe de transcendance au sein de l’immanence qui assurerait la cohérence de cette dernière dans une dialectique de l’identité et de la différence. En inversant la différence ontologique, en effaçant la différence par l’exacerbation de la différence, sous la lumière d’une différence ultime, peut-être parviendrons nous à dépasser les pôles du patriarcat et du matriarcat, pour évoluer de l’autre côté, là où il n’y a plus d’autre.
Supprimer toute représentation de Dieu, pour autant qu’une telle pensée puisse voir le jour, compromettrait toute pratique de dévotion. Défaire Dieu de tout anthropomorphisme, de toute fioriture figurative représente un défi à l‘imagination et à sa tendance à personnaliser le divin. Moïse Mendelssohn remarquait déjà que toute religion se devait d’adopter des symboles ou des archétypes mythologiques en complément à la seule raison.
Dans sa Dialectique négative, Adorno décrivait l’injonction biblique contre les images comme une « ascèse extrême qui menait au rejet de toute forme de foi révélée », la profession de foi d’un athéisme paradoxal, « Celui qui croit en Dieu ne peut croire en Dieu. » Dans Raison et Révélation, Adorno ajoute : « Je ne vois aucune aucun autre débouché à cet iconoclasme qu’un ascétisme contre toute foi révélée, très loin de ce que cet interdit signifiait originellement. » Une telle foi ne pourrait alors se maintenir qu’en se trahissant elle-même, par la réintroduction, en subreptice, de traits anthropomorphiques. »
Le courant principal de la théologie contemporaine persiste à penser Dieu au travers du prisme de la personne. Sans doute, les métaphores corporelles occupent-elles un espace intermédiaire, entre réalité et imagination, et il ne peut y avoir de réalité qu’à la condition d’une pensée, ou d’une visée, de la réalité. Cette persistance de la métaphore témoigne de la compulsion scopique et idolâtrique entretissée au cœur même du théisme.
Adorer le Dieu unique implique d’abattre toutes les idoles des autres dieux, mais si le Dieu unique était authentiquement irreprésentable, y compris même en se le représentant comme irreprésentable, alors il n’y aurait absolument rien à voir et en conséquence rien à célébrer, rien à remercier, rien à penser.
Et c’est ainsi que l’invisibilité finit par se manifester en tant qu’absence visible, comme un dérobement, une vérité nue voilée de non-vérité. Toute visibilité est commensurable à ce qui la voile ; ôtez ce voile et la visibilité s’échappe, devient invisible, vérité nue. L’ultime voile à lever serait la croyance en un ultime dévoilement. Derrière le masque, un autre masque. Pour démasquer l’illusion, il faut démasquer l’illusion du démasquage. Pour se réveiller de l’illusion, il faut s’éveiller de l’illusion du réveil.
Les théologies apophatiques, aussi influentes soient-elles, devraient céder la place à une apophase de plus longue portée, ce que j’appelle l’apophase de l’apophase : la reconnaissance de l’absolu néant, à ne pas confondre avec un néant d’absolu, lequel n’implique pas un Autre inconnaissable, mais le reploiement du plérôme abyssal au cœur de l’être, la négation dépouillée de la négation de sa négation, une triple négativité, le vide du plein, qui est le plein du vide vidé du vide de son vide.
Tel serait le dernier geste iconoclaste, l’ultime adoration de l’invisible : « le seul discours d’un Dieu non-idolâtre serait nécessairement un discours athée car le seul Dieu qui n’est pas une idole est un Dieu qui n’est pas Dieu » (Henri Atlan)
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