« Gelassenheit »

 

Source : Maître Eckhart, l’homme à qui Dieu ne cachait rien, par Bernard McGinn, éditions du Cerf

Le détachement eckhartien est, comme si souvent dans sa pensée, un processus à la fois métaphysique, éthique, et mystique. Il est fondé sur la métaphysique exposée en détail dans les œuvres latines, mais il est aussi présent, sur un registre plus personnel et direct, d’un bout à l’autre des traités et sermons en langue vernaculaire.

Eckhart en appelle à maintes reprises au principe qu’une puissance réceptive ne peut recevoir une forme qu’à la condition d’être vide et affranchie de toute autre forme ; l’œil ne peut voir la couleur que parce qu’il n’a pas de couleur propre et à un degré supérieur, l’intellect peut comprendre toute chose parce qu’il est non-chose en lui-même, sauf la capacité de tout connaître. Il lui faut donc être vide et affranchi de toutes les formes créées et de tout attachement aux formes s’il veut recevoir Dieu. Selon la formule concise du Traité du Détachement : « Sache qu’être vide de toutes les choses créées, c’est être plein de Dieu et qu’être plein des choses créées, c’est être vide de Dieu. »

C’est cela, la loi du retour. Le renoncement total à tout, suivant ce paradoxe du message chrétien : « Qui veut sauver son âme doit la perdre » (Mt 16, 25), est le moyen de gagner toutes choses dans le Dieu qui est l’être véritable de tout. « Plus l’homme a abandonné de biens et plus il est pauvre » selon le Commentaire de Jean, « plus aussi il en trouve, et ce qu’il a abandonné, il le trouve sur un mode supérieur, plus pur. »

Il ne nous sera pas possible ici de passer en revue toutes les procédures par lesquelles Ekchart a cherché à faire passer son message de déconstruction, mais l’étude attentive de quelques textes suffira à montrer à quel degré de profondeur s’exerçait sa « chirurgie mystique. »

Le détachement fut, dès le commencement, une partie centrale de son message, comme on le voit dans les Instructions spirituelles, où dans trois chapitres sont présentés de nombreux aspect du processus de détachement sur lequel allait porter la prédiction eckhartienne durant les quelque vingt-cinq années suivantes. Le chapitre III traite « des gens qui ne sont pas laissés [ungelâzenen liuten] et sont pleins de volonté propre. » L’inquiétude spirituelle, dit-il, ne vient pas des choses ou des situations, mais de notre volonté propre. « Il faut commencer par toi-même et que tu te laisses toi-même. « Arriver à se laisser soi-même c’est en fait tout laisser.

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