Source : Maître Eckhart, l’homme à qui Dieu ne cachait rien, par Bernard McGinn, éditions du Cerf
Le Sermon 52 d’Eckhart a souvent été l’objet de
nombreuses études et analyses. Je voudrais seulement pour ma part souligner que
la triple réalisation de la pauvreté d’esprit méthodiquement orchestrée par le
prédicateur (ne rien vouloir, ne rien savoir, ne rien avoir » n’est ni
plus ni moins que la liberté absolue requise à titre de préalable pour arriver
à une vraie perception du Dieu qui est au-delà de toutes les conceptions de
« Dieu. »
Il faut selon lui renoncer à toute forme d’attachement,
même à nos bonnes œuvres, ou encore à notre volonté de suivre Dieu. Il faut
s’efforcer de devenir aussi libre à l’égard de sa propre volonté créée qu’avant
la Création : « existence vide » par conséquent, où Dieu en tant
que Créateur ne compte plus.
Et devenir livre à l’égard de sa volonté, pour Eckhart,
c’est renoncer à la volonté d’être libre à l’égard de sa volonté. C’est le
rejet de toutes les œuvres humaines. Comme l’a montré Michael Sells, ce n’set
pas pour autant une forme de quiétisme ou un manque de fécondité :
« Le rejet d’œuvres humaines n’est pas rejet d’activité, mais rejet de
l’identification de l’agent avec le moi ego. L’acteur réel est le divin, qui
œuvre dans l’âme. »
Le processus de retour nous libère de Dieu en tant que
créateur et nous reconduit à une béatitude qui transcende l’amour et la
connaissance, où Dieu « est libre à l’égard de toute chose, et par suite,
est toute chose. » Il est intéressant néanmoins de noter que dans cette
formulation extrême de ce que signifient liberté et détachement devant un
auditoire laïque, Eckhart reconnaît que son message risque d’être incompris de
beaucoup de ses auditeurs. « Celui qui ne comprend pas ce discours qu’il
ne s’en mette pas en peine, car c’est une vérité fort au-delà de toute
spéculation, venue directement du cœur de Dieu. »
L’une des questions sous-jacentes à propos de la
conception eckhartienne du détachement de toute chose comme aussi des désirs
est la suivante : quel rapport y a-t-il entre ce processus et les autres
vertus de la vie chrétienne ? D’évidence, le détachement n’est pas
seulement pour Eckhart une vertu parmi d’autres.
Comme le dit Denys Turner, « détachement et intériorité ne sont pas tant, pour Eckhart, les noms d’expériences, que des pratiques visant la transformation de l’expérience. Le détachement, en un mot, est la pratique ascétique de l’apophatique. » Il faut donc se garder de toute projection rétroactive de la psychologie moderne sur le détachement eckhartien.
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