Thulé

Ill. : Terror Antiquus par L Bakst. Source : Artaud, la fidélité à l’infini par Françoise Bonardel, éditions Balland, écriture Pythique.

Quelle logique secrète, doublée d’une force de dérivation puissante, put conduire ce fils du soleil vers les landes et les pierres levées, vers les brumes nordiques, sinon la fascination de quelque Hyperborée, entrevue une première fois chez les derniers Atlantes ? Là où on pourrait ne voir que lubie géographique attestant les premiers ravages de la folie, entreprend de se confirmer ce qui deviendra conviction chez Artaud : « Le véritable Orient fut nordique »

Encore faudra-t-il  que le Nord révèle le nécessaire passage du soleil par son pôle nocturne, glaciaire, pour que devienne active la force percutante du véritable « Orient », celui d’où naissent les totems, selon l’axe vertical du cœur corps : « Je n’oublierai jamais les Orientaux qui m’ont permis de réaliser le terrible sphincter du cœur », écrira-t-il à Rodes.

Cet Orient-là n’aura plus à s’incarner spécifiquement dans la « race rouge » du Mexique, ni à s’exiler définitivement dans les glaces hyperboréennes ou dans le supplice de l’Homme Dieu du Golgotha puisqu’il devient, en chacun, le « cœur » où prennent fin les dialectiques de tous ordres, matérialistes ou spiritualistes, religieuses ou mystiques, individualistes ou universalistes…

Et parce que ce « cœur » est d’abord courage, Artaud peut noter : « les êtres de l’Orient m’ont envoyé des cavaliers, une armée, une troupe. » Aucun hasard non plus si les « Filles de cœur », nées dans la solitude de Rodes, seront tour à tour des houris orientales, des Walkyries nordiques, puisqu’elles seront les incarnations, disséminées, multipliées, de ce travail du cœur, sur le cœur : « Toutes les âmes qui m’ont aimé sur la terre reculeront d’Europe, et se manifesteront en des femmes qui seront intégralement elles. »

Si ce féminin-là est « oriental » il n’est en aucun cas la femelle de ce mâle qu’est l’Occident, mais la force irradiante d’une « cordialité insexuée » dont Artaud espéra déjà trouver les traces vivantes au Mexique. Des témoins ont rapporté l’avoir entendu, à la fin de sa vie, chanter la Ballade du Roi de Thulé. Terre des confins, limite insituable et extrême où s’articule la relation à l’autre monde. Thulé n’est-elle pas partout où l’homme de cœur et de foi rejoue son va-tout, pour une plus durable fidélité ?

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