Source : La Cabale, nouvelles perspectives, par Moshe Idel, traduit de l’anglais par Charles Mopsik, éditions du Cerf, collection Patrimoine judaïsme, relecture en cours, septembre 2018-avril 2024.
Suivant la pratique juive, le mystique doit non
seulement prononcer les mots et les lettres selon des modèles fixes, stricts,
mais doit également construire activement ces combinaisons qui font partie
intégrante de l’opération mystique.
En conséquence, l’effet des techniques combinatoires
est non seulement le résultat du processus de leur énonciation, mais encore de
l’hyper-activation de l’esprit requise pour produire des contenus qui doivent
être prononcés. Ces répétitions monotones d’expressions singulières ou de noms
divins ne réalisent donc pas le repos ou le calme de l’esprit, mais suscitent
au contraire une intense excitation des processus mentaux, déclenchée par le
besoin incessant de combiner des lettres, leurs vocalisations et divers actes
physiques, mouvements de la tête, des mains et dispositifs respiratoires.
Bien que superficiellement semblables à diverses
techniques mystiques fondées sur le langage, la pratique kabbalistique possède
un mécanisme psychologique assez particulier, qui n’apparaît que rarement dans
de telles techniques. Je discuterai brièvement ici de plusieurs sources
concernant la prononciation ou répétition de noms divins, une pratique qui a
son parallèle dans les techniques non juives ; je m’étendrai alors sur
l’emploi médiéval de la combinaison des lettres, qui diffère significativement
de la technique plus ancienne.
Il est un trait frappant qu’une technique systématique
et détaillée de la combinaison de lettres apparaît pour la première fois dans
un livre de R. Eléazar de Worms, et, sous son influence, chez des kabbalistes
espagnols.
Plus que dans les autres exemples de techniques
mystiques attestées dans des sources franco-allemands antérieurement à leur
apparition dans la kabbale espagnole, dans ce cas spécifique il existe des
identifications fiables selon lesquelles les répercussions de cette technique
en Espagne sont directement liées à la culture ashkénaze. Abraham Aboulafia
mentionne explicitement les ouvrages de R. Eléazar comme des livres qu’il a
étudiés ; ainsi, la transition peut être aisément démontrée.
Les deux autres kabbalsites de la fin du treizième et quatorzième siècle, familiers de la technique de combinaison, R. Joseph ben Shalom Ashkénazi, et R. David ben Yehudah he-hassid, étaient soit d’origine ashkénaze, comme le premier, soit avaient visité l’Allemagne, comme le second. Ainsi donc, nous pouvons raisonnablement conclure que les techniques mystiques examinées étaient passées d’Allemagne en Espagne, trajectoire dont l’importance n’est pas suffisamment soulignée par la recherche moderne.
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