Source : Philosophie de l’alchimie, Grand Œuvre et modernité, par Françoise Bonardel, éditions Presses Universitaires de France, collections Questions, relecture juillet 2009-mai 2024, ouvrage rédigé en style pythique, cartésiens et zététiciens s’abstenir, mais on n'est pas sectaires.
Plus subtile que le recours à la fable et aux allégories, propice à tous les arts des dix-septième et dix-huitième siècle, serait l’éventualité que toute figure (songe, allégorie, fable, mythe) cachant ce qu’elle feint de montrer, renvoie en fait le lecteur à l’obligation de devenir le « lieu » d’où, pour émerger en tant que sens transitoire d’éveil, toute forme aurait d’abord à s’immerger, s’inverser dans le « bain », dans l’eau mercurielle, où elle subirait la décantation de ses connotations familières.
On a donc le sentiment que les alchimistes cherchent à entraver le développement trop linéaire de la phrase, le détournant continûment pour empêcher le sens de circuler trop librement, pour l’obliger à se creuser lui-même un parcours neuf en s’infiltrant en deçà ou au-delà des voies balisées par la logique ordinaire. De ces distorsions contorsions avoisinant parfois le maniérisme naît le style baroque alchimique.
« Il est vrai que lorsqu’on les entend discourir sur la matière prochaine, sur la préparation et sur les degrés du feu, ce ne sont que demi-mots, que des termes tronçonnés, et comme s’ils craignaient d’en dire trop, ou de s’exprimer trop clairement, ces rusés docteurs se mordent la langue à toutes les syllabes pour nous faire croire qu’un Sage n’irait pas plus loin » (W. Salmon : Dictionnaire philosophique)
Aussi serait-il trop simple de supposer qu’il y a toujours secret là où l’attention est attirée par quelque « nœud » langagier inextricable. Huginus A. Barma, un alchimiste, remarque que certains auteurs « peuvent avoir caché la vérité tantôt dans des tournures singulières et recherchées, tantôt sous des expressions figurées, et d’autres fois dans la simplicité même de leurs paroles. » Geber note : « Lorsqu’il paraît qu’ils s’éloignent du sujet qu’ils traitent, c’est alors qu’ils en parlent le plus ouvertement. »
Aussi devient-il moins étonnant d’entendre les alchimistes proclamer simultanément la totale opacité de ce qu’ils disent et la transparence de ce qu’ils taisent. « La vérité est cachée sous ces voiles, et jamais les Philosophes n’écrivent plus trompeusement que lorsqu’ils semblent écrire plus ouvertement, ni plus véritablement que lorsqu’ils cachent ce qu’ils veulent dire sous des termes obscurs. » Et rien n’arrête cette zigzagante dialectique du clair-obscur : « Si les discours allégoriques sont en eux-mêmes difficiles à saisir, et causes d’erreurs nombreuses, ils le deviennent particulièrement là où les mêmes termes sont appliqués à des réalités diverses et des termes différents aux mêmes réalités. »
De ce permanent jeu de quinconces, qui ne se lasserait, si l’usage déformé de la langue ne conduisait à restituer son sens à l’ancienne pratique philosophale : de détournements en détournements, de faux-fuyants en brusques tournants, d’étagements en trompe-l’œil, cherche à s’imposer le filigrane d’une figure qui n’est autre que celle de l’Œuvre.
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