Ill. : Gaetano Zumbo. Texte : Antonin Artaud par Camille Dumoulié, éditions du Seuil, collection Les Contemporains
Le Théâtre et la peste laisse entrevoir une autre scène qui ouvre sur un théâtre de la cruauté plus personnel : celui de l’identification d’Artaud lui-même à la peste. Comme lui, la peste de 1720 naît et éclate à Marseille, mais, comme lui aussi, elle a des origines orientales. Les ravages qu’elle cause dans les corps sont semblables aux symptômes de la maladie qu’il décrit dans ses lettres. Tout comme les images de la peste se révèlent au vice-roi de Sardaigne, qui refuse de laisser accoster le navire contaminé « car il se vit pesteux et vit la peste ravager son minuscule État », Artaud est l’acteur roi à qui fut révélée la puissance de contamination et de purification du Théâtre de la Cruauté.
Le système du pharmakos, du sauveur, du bouc émissaire, se met en place : poison et remède, abjection et royauté communiquent. Artaud, la peste, c’est Artaud la poésie, Artaud le théâtre incarné, qui va libérer sa puissance apocalyptique dans la vie même, au prix de son être et de sa vie. Puissance qui agit à distance, par une action matérielle de l’esprit et spirituelle de la matière, annonçant le motif des sorts et des envoûtements.
Enfin, lorsqu’il sera devenu, suivant le terme des Nouvelles révélations de l’Être, le « Révélé », il aura accompli l’identification avec le principe du théâtre et de la peste, cette « terrorisante apparition du Mal qui, dans les Mystères d’Éleusis, était donnée dans sa forme pure, et était vraiment révélée », car, « comme la peste, le théâtre est la révélation » de cette cruauté latente qui se manifeste à travers un individu ou un peuple, cette force à la fois vitale et mortelle qui expulse les humeurs par la perforation de la peau, qui fait exploser les bubons comme des volcans et qui entraîne tout « dans une immense liquidation » ; nous retrouvons ainsi la terrifiante membrane qu’Artaud définit comme la puissance de la Libido
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