Source : Bouddhisme tantrique et alchimie par Françoise Bonardel, éditions Dervy, recommandé par Neûre aguèce.
Plus une chose est attractive, ou l’inverse répugnante, plus le yogi tantrique pourra faire montre de sa capacité à transmuer non seulement sa réaction spontanée en sagesse mais aussi la vision dualiste de l’univers qu’elle suppose.
Ainsi, le Guhyasamaja Tantra invite le Tantrika désireux d’obtenir des pouvoirs (siddhi) à « utiliser excrément et urine en tant que nourriture imaginaire », susceptible d’être transmuée en pur nectar, et fait même allusion à des pratiques plus extrêmes encore consistant à utiliser les cinq chairs prohibées comme support de médiation (homme, éléphant, vache, chien) soit à reconstruire mentalement la chair. « Par cette pratique adamantine, les pouvoirs lui seront conférés par tous les bouddhas. » Or, quelles que soient la force et l’étendue de tels pouvoirs, aucun d’entre eux ne peut rivaliser avec celui de l’esprit éveillé dont la puissance ne concède plus rien au monde conditionné.
Plus développée dans le Tantra bouddhique que dans l’alchimie occidentale, cette attitude à reconvertir les extrêmes n’en est pas moins ce qui définit l’esprit d’alchimie tel qu’il se manifeste par exemple chez un poète comme Charles Baudelaire, (« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ») ou un fin connaisseur du tantra yoguique comme Mircea Eliade racontant dans son journal comment il s’est un jour essayé de transmuer les miaulement insupportables qui l’empêchaient de trouver le sommeil.
« Quand je suis parvenu non seulement à m’habituer à cette lamentation sinistre, empoisonnante, mais à me représenter à aimer le chat tel qu’il était : méchant, haineux, sauvage, je me suis brusquement senti un autre homme. »
Si l’art d’alchimie accomplit bien la nature, il ne le fait qu’au prix d’une torsion interne, d’un artifice suprême, consistant à la prendre à son propre piège, en refusant d’en épouser le cours naturel, d’en reconduire les discriminations et hiérarchies. Le Tantra bouddhique va néanmoins sur ce point plus loin que l’alchimie occidentale puisqu’en découvrant la « saveur unique » de toutes choses une fois libérées de l’opposition entre nirvâna et samsâra, il invente à se délivrer de cette dernière illusion qu’est la perfection associée à l’image rutilante de l’or, roi des métaux, à l’image du soleil parmi les planètes.
Ainsi, le Hevajra Tantra conclut-il, s’adressant aux Tantrika : « Il n’y a rien qu’on ne doive pas faire et rien qu’on ne doive pas manger. Il n’y a rien qu’on ne doive pas penser ou dire, que ce soit plaisant ou désagréable. »
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