Golosité

Source : Artaud, la fidélité à l’infini par Françoise Bonardel, éditions Balland, écriture Pythique.

Pourquoi un être aussi hostile qu’Artaud à toute forme de dualisme n’a-t-il pas trouvé dans le trois l’horizon d’une possible incarnation ? comment la Trinité a-t-elle pu devenir à ses yeux la figure majeure d’une perversion dont il nommera les effets les plus communs du terme intraduisible de « golosité » ?

On trouverait aisément trace de la triade dans les écrits de 1934-36, en particulier. Artaud y relève, de façon assez fantaisiste, il est vrai, les principales figures du ternaire dans les grandes traditions. Il se réfère à l’occasion au ternaire alchimique, ramené à trois unités dont l’abstraction détonne avec la vitalité de ces mêmes Principes, actifs dans ses écrits. Enfin, son « Théâtre de Séraphin » repose sur une utilisation elle aussi alchimique, du ternaire du souffle, par laquelle J.L. Barrault dira avoir été très marqué : Neutre / Androgyne / Équilibré, Féminin / Attractif / Négatif. Ce neutre, produit bâtard d’un ternaire, lui-même très abstrait, pouvant tout au plus rappeler certain vide ou « point mort » auquel Artaud n’a cessé de faire allusion dans les textes mexicains.

De fait, on s’aperçoit qu’Artaud table beaucoup plus spontanément, et avec plus de bonheur sur le 4+1 (Éléments et Quinte Essence) que sur le trois dont il semble qu’il ne parvienne que difficilement à sentir poétiquement la réalité : soit sous forme d’une tri-unité, soit sous celle d’une subordination du deux à l’Un. Ennemi de toute dialectique, il ne songe à aucun moment non plus à faire procéder le trois du deux et le deux du un, ni même à réaliser une « coincidentia oppositorum » des deux en l’un.

S’agit-il chez lui de ce même clivage entre le quatre où Lawrence vit le démarquage incisif entre monde païen et chrétien ? Mais dans la dynamique de l’Œuvre alchimique qu’il fait si souvent sienne, les trois principes (Soufre, Mercure, Sel) sont pourtant indissociables des quatre Éléments. (Eau, Air, Terre, Feu)