Source : Bouddhisme tantrique et alchimie par Françoise Bonardel, éditions Dervy, recommandé par Neûre aguèce.
Alexandra David-Neel donne une longue description d’une sorte de « mystère macabre » d’autant plus impressionnant qu’il était au Tibet pratiqué de nuit dans un environnement montagneux déjà en soi impressionnant : « Un mystère sinistre remontant à des temps plus primitifs » selon Eliade, décelant dans ce rituel « un schéma d’initiation chamanique » remodelé par le Vajrayana tantrique.
Faut-il dès lors considérer le rituel funèbre comme une forme de magie cérémonielle (J. Evola) difficilement imaginable hors de son cadre d’origine ou y voir au contraire la quintessence la plus subtile de l’esprit du Tantra ? La réponse varie selon qu’on s’attache prioritairement à la mise en scène lugubre, en effet, à la cruauté du sacrifice consenti ou à ce qu’il permet de dévoiler : » On y comprend que l’idée même de sacrifice est un lien né de l’ignorance car il n’y a rien d’autre à abandonner et personne à qui rendre, rien n’étant autre » résume Evola.
Aucun autre rituel tantrique ne resserre en tout cas à ce point le lien entre imagination et transmutation puisque le pratiquant accepte d’être décapité puis coupé en menus morceaux par la dâkhini de sagesse (« Vajrayogini » émanation de son esprit éveillé qu’il a d’abord visualisée jaillissant par le sommet de son crâne, un couperet à la main.
Or, ce sacrifice n’est vraiment consommé que lorsque les démons reçoivent en offrande le banquet préparé à leur intention par le yogi dans sa propre calotte crânienne (kapâla) qui, posée sur trois crânes symbolisant les trois régions du monde (triloka) va faire office de vase de transmutation. Allumant le feu à l’aide du mantra OM ÂH HÛM, le pratiquant réalise alors le mariage des gouttes de sagesse blanche et rouge au sein de la matière corporelle cuisant dans le chaudron qui devient aussi vaste que l’univers : « Répète les mantras plusieurs fois et pense que par cela les impuretés du corps offert dans le sacrifice ont été changées en amritâ et que cet amritâ a été multiplié en quantités remplissant l’univers, pour le bien de tous les êtres. »
Les couleurs associées aux différents festins ensuite offerts désignent moins les phases successives de l’Opus chimicum comme dans l’alchimie occidentale (noir, blanc, citrin, rouge) que la qualité des hôtes et le degré de pureté de cette offrande : blanche, quand c’est un pur nectar qui est offert aux hôtes de marque (Bouddha, Yidam, dakini, maîtres) puis, à tout un chacun ; bariolé quand les vapeurs issues du chaudron procurent à tous une jouissance inqualifiable ; rouge enfin lorsque les hôtes inférieurs doivent se contenter des bas-morceaux, chair, sang , graisse.
David-Neel évoque aussi, sans apporter de preuves, l’existence d’un « festin noir » dont le symbolisme n’est révélé qu’à ceux des disciples qui ont reçu une initiation supérieure. Il s’agirait en fait pour le yogi d’ingérer sous forme de nuages noirs puis de transmuter tout ce que son mauvais karma et celui des êtres comportent de fautes et d’obscurités. Toujours est-il qu’en épuisant ainsi sa dette karmique, le pratiquant « marie » de manière elle aussi alchimique compassion à l’endroit de ses créanciers et « réalisation » de la vacuité propre à l’esprit éveillé.
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