ὄφιανοι

Source : Bouddhisme tantrique et alchimie par Françoise Bonardel, éditions Dervy, recommandé par Neûre aguèce.

Quel animal par exemple aurait pu, mieux que le serpent, symboliser l’infinie plasticité d’une « matière » foncièrement une à travers ses transformations ? On notera que le Tantra n’a pas à cet égard produit d’exact équivalent de l’Orouboros alchimique, le serpent qui, lové sur lui-même, mord sa propre queue, hormis dans la figure du mandala dont on peut envisager qu’il symbolise à sa manière une unité comparable à l’Un et Tout, En Kai Pan, hermétique. 

Animal chtonien en dépit des possibles métamorphoses qui en font aussi un symbole de sagesse pérenne, chez les gnostiques, en particulier, le serpent semble de prime abord si étroitement associé à la lune et donc au devenir qu’on l’imagine aisément enserrant dans son corps annelé la roue de l’existence samsârique, formée des douze facteurs interdépendants.

De fait, une telle représentation est assez rare pour ne pas dire inexistante dans l’iconographie tibétaine, même si la roue en question est en général fermée sur elle-même par la gueule d’un animal redoutable qui semble en être la clef de voûte et tenir le devenir tout entier dans son pouvoir. Aussi faut-il s’attarder sur la jointure entre la tête et la queue de l’Orouboros pour reconnaître dans cet avalement féroce le symbole ambigu de l’auto-dévoration : celle à quoi prédispose l’existence samsârique selon le bouddhisme et pas seulement le Tantra, mais aussi le geste thérapeutique accompli par alchimistes et tantrika ingérant leurs propres poisons pour les transformer en remède.

Mais le serpent ne se contente pas de ramper, de muer, de sommeiller une fois repu par son festin. Il est aussi capable d’abandonner son appui terrestre et de se dresser, sifflant et menaçant envers quiconque s’opposerait à lui. Prenant acte de la verticalité ainsi acquise, on en vient alors à comparer le caducée brandi par Hermès-Mercure, tige autour de laquelle s’enroulent deux serpents, et l’élévation du serpent Kundalini à travers le canal central autour duquel « serpentent » en effet les deux canaux latéraux. 

Une telle comparaison semble confortée par le fait que le caducée symbolise pour les alchimistes l’union du soufre et du mercure autour d’un axe vertical qu’on ne manque pas d’associer à la baguette d’or offerte par Apollon en échange de la lyre, et dont l’hymne homérique dit qu’elle procure « l’abondance et le bonheur ; elle protège. » C’est alors toute une vision de la médecine qui, d’Hermès aux alchimistes et au Tantra, fait du caducée son emblème et de l’éveil du serpent sa devine : qu’est-ce en effet que la santé sinon un équilibre retrouvé entre les opposés ?

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