Source : La Voie hermétique, introduction à la philosophie d’Hermès, par Françoise Bonardel, édition Dervy, collection Poche, quatrième édition.
La décision de graver les Livres, prise par Hermès, est consécutive à une vision : « Quand, le jour s’étant levé, comme, de ses yeux qui voient tout, il contemplait l’Orient, il perçut quelque chose d’indistinct, et à mesure qu’il l’examinait, lentement, soit, mais enfin lui vint la décision précise de déposer les symboles sacrés des éléments cosmiques près des objets secrets d’Osiris, puis, après avoir fait en outre une prière et prononcé telles et telles paroles, de remonter au ciel. » (Kori Kosmous, XXIII, 7)
Le fait que la décision soit prise au lever du jour, alors qu’il regarde vers l’Orient, renforce encore la portée symbolique de cet épisode. L’aurore où s’effectue le passage de la nuit à un nouveau jour n’est-elle pas l’heure hermétique par excellence, d’ailleurs célébrée pour telle par la tradition alchimique.
L’Orient est par ailleurs traditionnellement le lieu mythique et symbolique où éclot la lumière originelle, celle qui permet la régénération et qui engendre dans l’âme de l’initié une connaissance véritablement « gnostique » parfois nommée cognito matutina, connaissance matutinale… C’est dans un tel contexte symbolique que prend tout son sens le dépôt des Livres.
« Ô livres sacrés qui fûtes écrits par mes mains impérissables, vous qui, vous ayant oints de la drogue d’immortalité, j’ai tout pouvoir, demeurez, à travers les temps de tout siècles, imputrescibles et incorruptibles, sans que vous voie ni vous découvre aucun de ceux qui devront parcourir les plaines de cette terre, jusqu’au jour où le ciel vieilli engendrera des organismes dignes de vous, ceux que le Créateur a nommé âmes. » (Koré Kosmou, XXIII, 8)
Là où le Verbe d’Hermès avait été dans un premier temps seul révélateur et prophétique, ce sont maintenant les Livres qui vont permettre au disciple de revivre les différentes étapes de cette révélation / occultation. Trajet qui fera de lui le contemporain d’Hermès, voire sa nouvelle incarnation. La Voie hermétique, l’art de l’interprétation pratique, de l’exégèse, s’ouvre lorsque paraît se clore le cycle de la Révélation.
Car directement issu du Verbe d’Hermès, l’enseignement du Corpus Hermeticum se veut parole initiatrice puisqu’initiale, prise à la source de son éclosion et réduisant de ce fait au minimum l’écart entre l’émission du Verbe et son déchiffrement. C’est d’ailleurs le propre de tout Livre sacré que de réduire, voire annuler cet écart. Le fait qu’Hermès décide de déposer les principes « symboles sacrés des éléments cosmiques » paraît par ailleurs lié à son propre retrait.
Tant que Dieu ou son prophète est présent en ce monde, les symboles n’ont pas lieu d’y être manifestes. En revanche, tout retrait de Dieu impose la représentation la plus adéquate de sa présence, nécessairement d’ordre symbolique.
Si les textes anciens ne commentent pas davantage la portée ontologique de l’occultation, des textes et de la présence d’Hermès, la postérité de l’Hermétisme renouvellera à ce propos les interprétations.
Si donc l’hermétisme est bien une gnose, c’est en ce que la révélation du Noûs-Dieu, médiatisée par le Verbe hermésien, permet au néophyte de sauver en lui l’élément « pneumatique » et divin qu’il portait sans le connaître et, ce faisant, de retrouver un rapport à Dieu et à la Nature qui ne soit ni d’ordre purement rationnel, ni d’ordre exclusivement mystique, mais à proprement parler « gnostique. »
La difficulté inhérente à l’hermétisme réside alors dans la possible articulation des deux postulations, également mais différemment gnostiques, qui constituent son syncrétisme. La part la plus originale de cette révélation paraît certes résider dans l’art hermésien de la médiation, dans une vision de l’univers où prévaut l’animation, et dans l’affirmation du caractère indissociable de la révélation, et de l’occultation. On n’en doit pas moins prendre également en compte l’existence d’un autre hermétisme, dualiste et porteur d’une gnose sombre, peu compatible avec une vision « compréhensive de l’univers. »
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