« Il faut que les secrets circulent »

 

Ill. : Ari Roussimoff. Source : La Cabale, nouvelles perspectives, par Moshe Idel, traduit de l’anglais par Charles Mopsik, éditions du Cerf, collection Patrimoine judaïsme, relecture en cours, septembre 2018-avril 2024.

Il faut noter que certaines idées kabbalistiques étaient transmises oralement aux kabbalistes eux-mêmes et seulement après qu’ils eurent atteint l’âge de quarante ans.

Dès le début du quatorzième siècle, un kabbaliste tel que R. Shem Tov ibn Gaon était prêt à rédiger un super commentaire sur les allusions de Nahmanide aux Secrets kabbalistiques, mais il indique de façon répétée qu’il existe des sujets qui ne peuvent être divulgués. En réponse à une lettre que lui adressa un de ses disciples, qui lui demandait d’expliquer une question particulière de kabbale, R. Shem Tov écrit qu’il n’avait pas encore quarante ans. Maintenant qu’il a atteint cet âge, il réside trop loin et un tel sujet ne peut être couché par écrit : ainsi donc, nous pouvons déjà voir que, plus de cent cinquante ans après l’émergence de la kabbale historique, quelques-uns de ses éléments étaient refusés même à des kabbalistes relativement mûrs.

Cet exemple illustre la nécessité de distinguer avec soi entre ce qui était entendu comme la kabbale par les maîtres kabbalistes, qui la révélèrent seulement de manière fragmentaire et ce que les chercheurs contemporains, qui croient que cette discipline fut exposée dans des documents écrits, estiment être la kabbale. Il est raisonnable de supposer que les sujets kabbalistiques qui furent tenus secrets même auprès des jeunes kabbalistes concernaient des questions clefs sensibles. En conséquence, si nous ne tentons pas de découvrir les problèmes cachés des kabbalistes et de les décoder, notre vision de la kabbale, au moins, jusqu’à un certain point peut être faussée.

Autant que je le sache, la conscience de cette question méthodologique est absente de la recherche moderne sur la kabbale. Au contraire, cette doctrine est décrite et analysée à partir de la supposition implicite que toutes les idées kabbalistiques majeures sont exposées comme telles dans les documents d’une façon articulée.