Le néophyte doit subir une grande épreuve, qui exige un
long effort d’ascèse physique et de contemplation mentale ; elle a pour
but d’obtenir la capacité de se voir soi-même comme un squelette. Sur cet
exercice spirituel, les chamans questionnés par Rasmussen ont donné des
renseignements très vagues, que l’illustre explorateur résume comme suit :
« Bien qu’aucun chaman ne puisse expliquer comment et pourquoi, il peut
néanmoins, par la puissance de sa pensée, dépouiller son corps de sang et de
chair, de telle manière qu’il ne reste que les os. Il doit alors nommer toutes
les parties de son corps, mentionner chaque os par son nom ; pour cela, il
ne doit pas utiliser le langage humain ordinaire, mais uniquement le langage
spécial et sacré des chamans qu’il a appris de son instructeur. En se regardant
ainsi, nu, et complètement délivré de sa chair et du sang périssables et
éphémère, il se consacre lui-même, toujours, dans la langue sacrée des chamans,
à sa grande tâche, à travers cette partie de son corps qui est destinée à
résister le plus longtemps à l’action du soleil, du vent et du temps. Se
réduire soi-même à l’état de squelette équivaut à une réintégration dans la
matrice de cette Grande Vie, c’est-à-dire à un renouvellement total, à une
renaissance mystique. Par contre, dans certains types de méditation de l’Asie
centrale, d’origine ou tout au moins de structure bouddhiste et tantrique, la
réduction à l’état de squelette a une valeur plutôt ascétique et
métaphysique : anticiper l’œuvre du temps, réduire, par la pensée, la vie
à ce qu’elle est en vérité : une illusion éphémère en perpétuelle
transformation.
Mircea Eliade : Le Chamanisme et les techniques de l’extase
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