Docteur Roc

 

Source : Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase par Mircea Eliade, éditions Payot, collection Bibliothèque historique Payot.

Après avoir trouvé la cause de la maladie, le chaman procède à la guérison. Sauf dans le cas de la perte de l’âme, le traitement consiste en l’extraction du « mal » ou la succion du sang. Par la succion, le chaman retire avec les dents un petit objet « comme un petit bout de fil blanc ou noir », quelquefois comme une rognure d’ongles. Un Achumawi disait à l’auteur : « Je ne crois pas que ces choses-là sortent du corps du malade. Le chaman les a toujours dans sa bouche avant de commencer la cure. Seulement, il y attire la maladie, ça lui sert à attraper le poison. Autrement comment ferait-il pour l’attraper ? »

Certains chamans sucent directement le sang. Un chaman expliquait ainsi comment il s’y prenait : « C’est du sang noir, c’est du mauvais sang. D’abord, je le crache dans mes mains pour bien voir si la maladie est là-dedans. Et alors, j’entends mes esprits qui se disputent. Ils veulent tous que je leur donne à boire. Ils ont bien travaillé pour moi. Ils m’ont aidé. Maintenant, ils sont tous échauffés. Ils ont soif, ils veulent boire. Boire du sang. » S’il ne leur donne pas de sang, les esprits s’agitent comme des fous et protestent bruyamment. « Alors, je bois du sang, je l’avale, je leur donne et ça les apaise, ça les came, ça les rafraîchit. »

D’après les observations de Jame de Angulo, le « mauvais sang » n’est pas sucé du corps du malade ; ce serait le « produit d’une extraction hémorragique d’origine hystérique, dans l’estomac du chaman. En effet, le chaman est très fatigué à la fin de la séance et, après voir bu deux à trois litres d’eau, il s’endort d’un lourd sommeil. »

Quoi qu’il en soit, la succion du sang semble plutôt une forme aberrante de guérison chamanique. On se rappelle que certains chamans sibériens boivent aussi le sang des animaux sacrifiés et prétendent que ce sont en réalité leurs esprits auxiliaires qui le demandent et qui le boivent. Ce rite, extrêmement complexe, fondé sur la valeur sacrée du sang chaud, n’est « chamanique » que subsidiairement et par coalescence avec d’autres « rites appartenant à des complexes politiques et religieux différents. »

S’il s’agit d’un empoisonnement par un autre chaman, le guérisseur après avoir longuement sucé la peau saisit l’objet magique entre les dents et le montre. Parfois, l’empoisonneur se trouve parmi l’assistance et le chaman lui rend l’objet : « Tiens, le voilà ton damagomi, je ne veux pas le garder pour moi. » Dans le cas de la perte de l’âme, le chaman, toujours informé par ses damagomi se met à sa recherche et la retrouve, égarée dans les lieux sauvages, sur un roc.

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