Docteur Roc

 

Source : Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase par Mircea Eliade, éditions Payot, collection Bibliothèque historique Payot.

Arrivé auprès d’un malade, le chaman s’efforce tout d’abord de découvrir la cause de la maladie. On distingue deux principaux types de maladies : celles qui résultent de l’introduction d’un objet pathogène et celles qui résultent de la « perte de l’âme. »

Le traitement diffère d’une hypothèse à l’autre : dans le premier cas, il s’agit d’expulser l’agent du mal, dans le second, de trouver et de réintégrer l’âme fugitive du malade. Dans ce dernier cas, le chaman s’impose sans conteste car lui seul peut voir et capturer les âmes. Dans les sociétés qui comptent, en dehors des chamans, des medecine men, et des guérisseurs, ces derniers peuvent bien traiter certaines maladies, mais la « perte de l’âme » est toujours réservée aux chamans.

Dans le cas d’une maladie provoquée par l’introduction d’un objet magique perturbateur, c’est toujours grâce à ses capacités extatiques, et non pas par un raisonnement ressortissant à la science profane, que le chaman arrive à diagnostiquer la cause ; il dispose en effet de nombreux esprits auxiliaires qui cherchent pour lui la cause de la maladie, et la séance implique l’évocation de ces esprits.

Les causes du vol de l’âme peuvent être multiples : rêves qui provoquent la fuite de l’âme ; morts qui ne se décident pas à se diriger vers le pays des ombres, et qui rôdent au-dehors des camps, cherchant à emmener avec eux une autre âme ; et enfin, l’âme même du malade qui s’égare loin de son corps. Un informateur Paviosto disait à Park : « Quand quelqu’un meurt subitement, il faut appeler le chaman. Si l’âme ne s’est pas trop éloignée, le chaman peut la ramener. Il tombe en transe pour ramener l’âme et quand l’âme s’est avancée profondément vers l’autre monde, le chaman ne peut rien faire, il y a trop de distance entre l’âme et lui. L’âme quitte le corps pendant le sommeil et, en réveillant quelqu’un brusquement, on peut le faire mourir. Il ne faut jamais réveiller un chaman en sursaut.

Les objets malfaisants sont également projetés par les sorciers : ce sont de petites pierres, de petits animaux, des insectes ; ils ne sont pas introduits concrètement par le magicien, mais créés par la puissance de sa pensée. Ils peuvent être envoyés également par les esprits qui, parfois, s’installent eux-mêmes dans le corps du malade. Une fois découverte la cause de la maladie, les chamans extraient les objets magiques par succion.

Les séances ont lieu pendant la nuit et presque toujours à la maison du malade. Le caractère rituel de la cure est nettement précisé : le chaman et le malade sont tenus de respecter un certain nombre d’interdictions : éviter les femmes enceintes, ou en période de menstruation, et en général, toute forme d’impuretés, aux aliments carnés ; le chaman utilise au besoin des vomitifs.

Parfois, la famille du patient observe elle aussi le jeûne et la continence. Quant au chaman, il se baigne à l’aurore et au crépuscule et s’adonne à des méditations et à des prières. Comme les séances sont publiques, elles provoquent une certaine tension religieuse dans la communauté tout entière et, en l’absence d’autres cérémonies religieuses, les guérisons chamaniques constituent le rituel par excellence.

L’invitation qu’un membre de la famille fait au chaman et la fixation de l’honoraire ont elles-mêmes un caractère rituel. Si le chaman demande un salaire trop élevé, ou s’il ne demande rien, il tombe malade. D’ailleurs, ce n’est pas lui, mais son « pouvoir » qui fixe les honoraires de la cure. Seule la famille a droit à un traitement gratuit.

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