Chamanka

 

Source : Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase par Mircea Eliade, éditions Payot, collection Bibliothèque historique Payot.

À propos de la résurrection par les os, on pourrait faire état de la vision d’Ezéchiel, bien qu’elle s’intègre dans un tout autre horizon religieux.

« La main de l’Éternel se posa sur moi ; l’Éternel m’enleva en esprit et me transporta au milieu d’une vallée pleine d’ossements. Il me dit : Fils d’homme, ces ossements peuvent-ils revivre ? Je répondis : Seigneur Éternel, c’est toi qui le sais. Alors, il me dit : Prophétise sur ces ossements et dis-leur : ossements desséchés, écoutez la parole de l’Éternel. Ainsi parle le Seigneur, l’éternel, à ses ossements : je vais faire entrer l’esprit en vous, et vous revivrez ; et vous saurez que je suis l’Éternel. Je prophétisai donc, comme j’en avait reçu l’ordre et voici qu’il se formait sur eux des muscles et de la chair, etc. » (Ézéchiel 37, 1-8)

A. Friedrich rappelle une peinture découverte par Grünwedel dans les ruines d’un temple à Sängimäghiz et qui représente la résurrection d’un homme de ses propres os, résurrection obtenue par la bénédiction d’un moine bouddhiste. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans des détails concernant les influences iraniennes sur l’Inde bouddhiste, ni d’entamer le problème des symétries entre tradition tibétaine et iranienne.

Comme J.J. Modi l’a remarqué il y a plusieurs années, il existe une ressemblance frappante entre la coutume tibétaine d’exposer les cadavres et celle des Iraniens. Les uns comme les autres laissent les chiens et les vautours dévorer les corps ; pour les Tibétains, il est d’une grande importance que le corps se transforme au plus tôt en squelette. Les Iraniens déposent les os dans l’astodan, « la place des os », où ceux-ci attendent la résurrection.

Dans le folklore magique de l’Inde, certains saints et yogis sont censés pouvoir ressusciter les morts à partir de leurs os ou de leurs cendres ; c’est ce que fait Gorakhnâth et il n’est pas sans intérêt de remarquer que ce magicien est considéré comme le fondateur d’une secte yogico-tantrique, les Kânphata yogis, chez lesquels on rencontre d’autres vestiges chamaniques. Enfin, il sera instructif de rappeler certaines méditations bouddhistes ayant pour but la vision de la transformation des corps en squelettes, ainsi que le rôle important que les crânes et os humains détiennent dans le lamaïsme et le tantrisme ou la danse du squelette en Mongolie et au Tibet ; la fonction remplie par le brâhmarandhra, « sutura frontalis », dans les techniques extatiques tibéto-indiennes et dans le lamaïsme.

Tous ces rites et toutes ces conceptions nous semblent montrer que, malgré leur intégration présente dans des systèmes très variés, les traditions archaïques de l’identification du principe vital dans les os n’ont pas complètement disparu de l’horizon spirituel asiatique. Mais l’os joue aussi d’autres rôles dans les rites et mythes chamaniques. Quand le chaman vasyugan-ostyak part à la recherche de l’âme du malade, il utilise une barque faite d’un coffre pour son voyage extatique dans l’autre monde et il emploie une omoplate comme rame. (Karjalainen : Die Religion der Jugra-Völker) Il faudrait aussi citer à ce propos la divination par une omoplate de bélier ou de brebis, très répandue chez les Kalmouks, les Kirghiz, les Mongols, ou par une omoplate de phoque chez les Koryaka.

La divination en elle-même est une technique propre à assimiler les réalités spirituelles qui sont à la base du chamanisme ou à faciliter le contact avec elles. L’os de l’animal symbolise la « Vie totale » en continuelle régénération, et, partant, inclut en lui, ne fût-ce que virtuellement, tout ce qui appartient au passé et au futur de cette Vie.

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