Source : Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase par Mircea Eliade, éditions Payot, collection Bibliothèque historique Payot.
Le pont Činvat joue un rôle essentiel dans la
mythologie funéraire iranienne ; son passage commande en quelque sorte la
destinée de l’âme, et ce passage est une épreuve initiatique, difficile,
équivalent, pour la structure aux épreuves initiatiques.
Le Pont Činvat est « comme une poutre à plusieurs
faces » (Dataistân-i-Denik) et il est divisé en plusieurs passages ;
pour les justes, il est large de neuf longueurs de lance, pour les impies, il
est étroit comme « la lame d’un rasoir » (Dînkart, IX, 20, 3) Le pont
Činvak se trouve « au centre du Monde »
« Au milieu de la terre, haut de 800 mesures
d’hommes » (Bundashîn, 12, 7) s’élège Kakâd-i-Dâtîk, le « Pic du
Jugement » et le pont Činvat se dresse jusqu’à Albûrz du
Kakâd-i-Dâitîk ; ce qui revient à dire que le pont relie, dans le
« Centre », la Terre au Ciel. Sous le pont Činvat s’ouvre le trou de
l’Enfer : la tradition le représente comme une « continuation
d’Albûrz » (Bundashîn, 12, 8, sq)
Nous sommes en présence du schéma cosmologique
« classique » des trois régions cosmiques reliées par un axe central (Pilier, Arbre, Pont) Les chamans
circulent librement entre les trois zones ; les trépassés doivent
traverser un pont au cours de leur voyage vers l’au-delà. Nous avons rencontré
nombre de fois ce motif funéraire et nous le rencontrerons encore.
L’important dans la tradition iranienne, au moins sous
la forme où elle a subsisté après la réforme de Zarathoustra, c’est que, au
passage du pont, une sorte de lutte s’engage entre les démons, qui s’efforcent
de précipiter l’âme dans l’Enfer, et les esprit protecteurs, invoqués par les
parents du mort à cet effet, et qui leur résistent ; Aristât, « le
conducteur des êtres terrestres et célestes » et le bon Vayu. Sur le pont,
Vayu soutient les âmes des hommes pieux ; les âmes des morts viennent
également les aider à passer (Sölderblom, p. 94, sq) La fonction de psychopompe
assumée par le bon Vayu pourrait refléter une idéologie
« chamaniste. »
Les Gâthâ font trois fois allusion à ce passage du pont
Činvat. Dans les deux premiers passages, Zarathoustra, d’après l’interprétation
de H.S. Nyberg, parle de lui-même comme d’un psychopompe ; ceux qui ont
été réunis à lui en extase passeront facilement le pont ; les impies, ses
adversaires, seront « à jamais les hôtes de la maison du Mal » Le
Pont, en effet, n’est pas seulement le passage des morts, il est en outre, et
nous l’avons maintes fois rencontré comme tel, le chemin des extatiques. C’est
également en extase qu’Ardâ Virâf traver le pont Činvat, a cours de son voyage
mystique. Suivant l’interprétation de Nyberg, Zarathoustra aurait été un
extatique, très proche d’un chaman par l’expérience religieuse.
Le savant suédois croit pouvoir trouver dans le terme gâthique « maga » la preuve que Zarathoustra et ses disciples provoquaient une expérience extatique par des chants rituels qu’on entonnait en chœur dans un espace clos consacré. Dans cet espace sacré, « maga », la communication entre le Ciel et la Terre était rendue possible, c’est-à-dire conformément à une dialectique universellement répandue, l’espace sacré devenait un « Centre. » Nyberg insiste sur le fait que cette communication était extatique et il compare notamment l’expérience mystique des « chanteurs » au chamanisme proprement dit. Cette interprétation a contre elle la plupart des iranisants.
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