Source : Et Dieu joue aux dés, par Jean-Clet Martin, éditions Presses Universitaires de France
Un cône présente d’étranges transformations. C’est par
tous ces aspects le principe des coniques que Desargues, né en 1591, ami intime
de Descartes, devait formuler par la projection de cet objet sur un plan. Le
plan nous donne une coupe, une image différente de cette chose qui s’enfonce en
lui. Elle le traverse, le découpe, copeau après copeaux.
Comme sur une nappe rappelant un plan d’eau en lequel
s’immerger graduellement, avec la ligne de flottaisons qui dessine chaque fois
une coupe différente. Un contour, une frontière exprimée par de nombreuses
figures capturées selon la surface montant de l’eau. Naît ainsi l’idée d’un
groupe, un agencement de formes pourtant très différentes.
Commençons par la pointe du cône. Son extrémité si
fine, en touchant le plan, trace une infime zone de contact : un seul
point. En s’enfonçant davantage, le point s’élargie. S’ouvre un cercle. En
basculant vers la gauche ou la droite, le cône dessinera une ellipse. En se couchant
dangereusement comme une espèce de Titanic qui sombre, une parabole puis une
hyperbole viendraient lécher sa coque…
Toutes les variétés de courbes peuvent ainsi se décliner par un plan de coupe lorsque ce dernier se trouve traversé par l’objet géométrique. C’est une seule et même substance pour une multiplicité de figures qui nous laisse deviner comment des événements très dissemblables peuvent se réunir de manière continue. Point, cercle, ellipses, paraboles, hyperboles…
Des
êtres qui ont l’air indépendants, séparés par une discrétion irréductibles,
apparaissent soudainement comme l’expression d’une même réalité, la variation
d’un même groupe. Des figures autonomes pourront ainsi se séparer en propriétés
nombreuses, sans ressemblance lorsqu’on ne pense pas encore à les soumettre au
même procédé comme le fit Desargues au travers de la déclinaison d’une seule
entité géométrique.
Il en va sans doute ainsi pour nos états psychologiques, des humeurs qui pourraient se décliner en caractères différents et faire jouer des perspectives nombreuses, comme si le saint, le criminel, et le porc, jouaient une unique projection, se trouvaient suspendus au sommet d’un gigantesque cône exprimant cette pluralité par un enfoncement dans le plan.
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