Source : Nietzsche et Salomé, la philosophie dangereuse, par Jean-Pierre Faye, éditions Grasset.
À l’automne 88, dans Ecce Homo,
nous avons entendu Nietzsche rappeler la genèse de son Hymne à la vie à
partir de la « Prière à la vie » de Lou-Salomé.
« Le texte, je tiens à le
préciser, n’est pas de moi. On le doit à l’inspiration d’une jeune Russe qui
était jadis mon amie, Mademoiselle Lou von Salomé. » Notons qu’il omet son
mariage avec Andreas, dont il a pourtant fait mention avec dédain dans un Post-Scriptum
adressé à Malwida.
Et il en donnera
l’avertissement : « Qui sera capable de comprendre le sens des
derniers mots de ce poème devinera pourquoi je l’ai singulièrement admirée et
aimée… La douleur ne peut pas servir d’argument contre la vie. » La langue
allemande, qui n’a point part à l’usage du e muet du féminin, laisse
l’ambiguïté régner sur la question de savoir qui est désigné comme
« aimé » et « admiré », à six ans de distance du poème ou
de celle qui l’a écrit, de la douleur décrite par le poème ou de la blessure
qu’a laissée celle qui l’écrivit en forme de pénétrante prémonition :
« Si tu n’as plus de bonheur à me donner, eh bien, il te reste tes
tourments. »
Le don du poème, effectué à Tautenburg
par Lou, demeure donc, six années durant, ineffaçable, par-delà le moment
difficile vécu en octobre 82 à Leipzig par la « trinité » de Lou
Nietzsche Rée, cette trinité dont Lou dira qu’en fait jamais elle ne fut
expressément dissoute, même si, dira-t-elle, Nietzsche désirait secrètement
autre chose.
Mais c’est le désir qui est aussi joie en langue allemande, et qui est vocable féminin, Lust, dont Valéry fera la démone facétieuse de Mon Faust, c’est lui qui va parler dans le Chant ivre du Zarathoustra, Partie IV, chant ultime et splendide, à la syntaxe androgyne, où, dans l’action des verbes, alternent le féminin et le masculin.
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