Source : Aleister Crowley, la biographie par Tobias Churton, traduction par Frédérique Porta Delsol, éditions Camion noir, traduction passable.
Été 1897. Tandis que le tout Londres était en
effervescence à l’approche de la célébration du Jubilé de Diamant de la Reine
Victoria, Crowley, lui, se trouvait à Saint-Pétersbourg. Ses Confessions
parlent de cette visite comme une préparation à sa carrière diplomatique.
Apprendre le russe s’avérait de fait indispensable dans cette zone sensible de
l’espionnage international. S’en revenant en Angleterre depuis Saint-Pétersbourg,
quelque chose semblait pourtant s’être brisé en lui. Assistant à un tournoi
d’échecs à Berlin, il n’y vit qu’un rassemblement d’êtres insignifiants,
médiocre en tout sauf en cet exercice cérébral, et, de retour à Cambridge, il
traversa aussitôt une période d’incertitudes.
Si les lauriers qu’offrait une grande maîtrise du jeu
d’échecs se révélaient finalement sans la moindre valeur, alors, toute autre
entreprise terrestre ne s’avérait-elle pas vaine ? Les « affres de
la mélancolie » changèrent soudain l’ambition en futilité. Son père en
avait sans doute retiré le même enseignement de la Bible : « Vanité
des vanités, tout n’est que vanité et poursuite du vent. » La tempête
spirituelle venait de le heurter de plein fouet. Les certitudes qu’il s’était
forgées sur son identité, son avenir, se dissolvaient peu à peu dans une
désolante amertume. Les valeurs terrestres n’avaient plus le moindre sens.
Devait-il sacrifier sa destinée et ses ressources au
corps diplomatique ? Le plus grand ambassadeur ne finirait-il pas par
tomber un jour dans l’oubli ? Enfin, Crowley se demanda : « Quelle
sorte de labeur pourrait donc posséder en lui un si profond et inaltérable sens
qu’il vaille la peine qu’on y sacrifie son existence entière ? »
Pour finir, il en vint à penser que l’unique ouvrage qui méritât un tel
sacrifice serait celui qui saurait s’élever au-delà du matériel. Par-delà le
voile de la matière, croyait-il, œuvrait en effet tout un réseau de forces
spirituelles, invisibles. Crowley nourrissait désormais une nouvelle
ambition : affecter le cours de l’Histoire et de l’intérieur qui
plus est. Abstraction faite de sa soudaine fortune, à quoi donc attribuer le
tournant opéré dans la vie de Crowley, dépourvu de tout statut social.
Sa double vie, entretenue à l’abri des regards, ne l’empêchait pas d’intégrer les services diplomatiques. Faut-il y voir là les prémisses d’un penchant qu’aurait développé Crowley pour les vies secrètes et qui aurait coïncidé avec son ambition spirituelle grandissante ? Joua-t-il l’espion à Saint-Pétersbourg ? Son séjour russe n’avait-il pas été une sorte de « galop d’essai » en vue d’une introduction auprès du gouvernement ?
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