Source : Nietzsche et Salomé, la philosophie dangereuse, par Jean-Pierre Faye, éditions Grasset.
Qui a dit tout récemment, d’une voix
de très jeune femme, au cours d’un débat public, que la pudeur aussi appartient
à la sexualité ? Et bien entendu, la « parfaite impudeur »
éthique de Lou Salomé également.
Un fragment du Gai savoir scrutait
minutieusement ce qu’avait de stupéfiant et des monstrueux l’éducation des
femmes, dans la haute société de son temps : la nécessité de les élever
dans une extrême ignorance in erotici, pour « leur inculquer une
profondeur pudeur. » C’est là « tout l’honneur de la femme qui est en
jeu. » Or, soudain, elles étaient, par le mariage, « lancées dans la
connaissance de la réalité » et l’on a créé là « un enchevêtrement de
l’âme. » Sera-t-il alors possible de deviner comment « l’extrême
philosophie et l’ultime scepticisme de la femme jettent leur ancre en ce
point ? »
Et c’est pourtant en ce point que la
fureur moqueuse va y jeter Dieu lui-même, manifestant sa pudeur au point de la
sacrifier, juste avant l’instant où l’homme religieux, par le troisième terme
de sa moralité religieuse, va être contrait à « sacrifier Dieu
lui-même. » Peut-on être plus cruel envers l’Autre et envers soi-même, et
en même temps sans concession pour « l’incommensurable nain du mépris
tolérant », mais non sans l’exception du Gai Savoir qui veut, en une
séquence brève et d’allure injustifiable, que l’on ne puisse « n’être
jamais doux à l’égard des femmes. »
Nous voici conduits à entrer dans la complexité du codex nietzschéen. Quand il demande un Dieu qui aime au point de sacrifier cette « chasteté féminine » qui a jeté l’ancre « en un point » d’une extrême philosophie, il touche aux limites de la pensée sur la sexuation. Car il s’agit de faire en sorte que les « plus grandes pensées » soient d’emblée « les plus grands événements », maxime où culmine la question cruciale. « Was ist vornehm ? » Qu’est-ce qui est élégant ?
« Être dur envers les dégénérés de toutes les castes est synonyme d’être sain » n’infirme pas un autre fragment, du même cahier 1888 : « Nous sommes des tchandalas, et nos artistes et nos baladins en premiers. » Rien n’empêche de voir dessinés à la fois, comme dans le grand codex léonardien, le plus pur visage de jeune femme et l’esquisse d’une copulation où les squelettes mêmes sont inscrits sous l’acte de sexuation.
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