« Chez nous c’est mieux parce qu’on souffre plus »

Source : Pierre le Grand par Robert K. Massie, éditions Fayard

Si la torture est les exécutions publiques n’étaient une nouveauté pour aucun Européen du dix-septième siècle, ce qui frappait le plus les voyageurs en Russie, c’était « l’indomptable obstination » avec laquelle la plupart des habitants résistaient à ces souffrances horribles et refusaient de trahir leurs amis. Condamnés à mort, les Russes allaient calmement au gibet ou au billot. Un observateur vit ainsi trente rebelles décapités en moins d’une demi-heure à Astrakan. Pas de bruit, pas de clameurs. Les hommes allaient poser leur tête dans la mare de sang laissée par ceux qui les avaient précédés et aucun n’avait même les mains liées.

Cette incroyable intrépidité étonnait non seulement les étrangers mais Pierre lui-même. Un jour où un homme avait été torturé quatre fois par le knout et le feu, il lui demanda comment il pouvait supporter une telle souffrance. L’autre, enchanté de parler, lui révéla qu’il appartenait à une société de torture qui n’admettait personne sans épreuve préalable, la promotion dépendant ensuite de la capacité de résistance à des supplices de plus en plus cruels. Pour eux, le knout n’était rien du tout. « La douleur la plus vive, expliqua-t-il au tsar, est quand on met un charbon ardent dans l’oreille ; ce n’est pas moins douloureux quand, la tête étant rasée, on fait tomber sur elle, lentement, goutte à goutte, et d’une grande hauteur, de l’eau extrêmement froide. »

Plus étonnant, voire touchant, ces mêmes Russes qui pouvaient rester muets jusqu’à la mort « craquaient » parfois s’ils étaient traités avec bontés. C’est ce qui se passa pour le membre de la fameuse société de torture. Le voyant invulnérable à la souffrance, Pierre l’embrassa et lui dit : « je sais que tu es au courant du complot contre moi, tu as assez été puni. Maintenant, avoue de ton plein gré, par amour pour moi, ton souverain et je jure par le Dieu qui m’a fait tsar, non seulement de te pardonner sans réserve, mais, comme marque de ma clémence, de te nommer colonel. » Le prisonnier fut si bouleversé par ce comportement inouï qu’il prit le souverain dans ses bras, en lui disant : « Pour moi, c’est le plus grande torture de toutes. Il n’y avait pas d’autres moyens pour me faire parler » et il dit tout à Pierre qui, fidèle à sa parole, fit de lui un colonel.

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