Überloser

 

Spontanément, personne ne s’intéresse au perdant radical. L’inverse est vrai aussi. Le perdant radical ne fait pas de ravages autour de lui, tant qu’il est seul. Or, il est très seul. Il n’attire pas l’attention, il ne dit rien. Il est comme endormi. Si un jour, il se fait remarquer malgré tout et qu’il faut lui constituer un dossier disciplinaire, il déclenche une irritation qui frise la frayeur ; car sa simple existence rappelle aux autres qu’il suffirait de presque rien pour qu’ils se retrouvent à sa place. Peut-être même viendrait-on au secours du perdant si seulement il cédait. Mais il n’y pense même pas, et il n’a pas l’air de vouloir qu’on lui vienne en aide.

Les professionnels, psychiatres, travailleurs sociaux, criminologues, thérapeutes, savent eux-mêmes que le perdant radical est difficile d’accès et en fin de compte imprévisible. Déceler parmi des centaines de personnes qui se présentent à leur bureau ou à leur cabinet, celui qui sera prêt aux dernières extrémités ? C’est trop leur demander. Ils sentent confusément qu’il ne s’agit pas d’un simple cas social, auquel on pourrait apporter une réponse à travers les dispositifs existants. C’est cela le pire. Le perdant radical le sait et il attend. Il ne laisse rien paraître. C’est justement pour cela qu’il provoque le malaise.

Hans Magnus Enzenberger : Le Perdant radical

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