Les allégories ont un effet ontophanique : la
traversée de leurs figures par un rayon tombant sur nous d’un plus haut niveau
de réalité. Cette impression d’épiphanie est tout particulièrement forte dans
le cas des statues, surtout quand elles sont surélevées par des socles, parce
qu’en sculpture les figures sont plus dégagées qu’en d’autres arts des détails
de leur apparence de corps vivants ou de choses, détails qui les retiendraient
parmi nous, et aussi parce que les statues baignent dans la lumière d’ici sur
terre, alors que cette lumière semble pouvoir se faire surnaturelle sans
transitions perceptibles.
Mais cet effet des allégories peut être presque aussi
fort en peinture, en fait même d’une façon souvent plus diversifiée et
multiple. Pour un peintre, il est facile, et longtemps, il fut naturel, de
concevoir des scènes allégoriques dont les protagonistes peuvent prendre de
grandes attitudes, comme dans les plus fiers monuments de la sculpture. Et, ce
n’est différent qu’au premier regard, le dessin, cette passion des sculpteurs
s’est souvent dégagé chez aussi des peintres de tout détails réaliste pour
n’être plus qu’un trait mince qui se détache d’un contour de personne, ou de
chose sur un fond clair, suggérant, dès lors, comme en sculpture que cette pure
lumière est promesse d’absolu.
Yves Bonnefoy : Le Siècle de Baudelaire
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